jeudi 13 octobre 2011

Années 30, l’invention des cadres (d’après l’ouvrage de Luc Boltanski)

Le groupe des cadres émerge dans un contexte de crise et se construit à travers un système d’oppositions.

Les cadres trouvent leur origine dans la crise des années 30 et l’émergence du front populaire.  Ce sont les ingénieurs, sortis des grandes écoles, militants au sein de l’Action catholique, mouvement ultra-conservateur proche de l’extrême droite, qui initient le mouvement, en réaction à ce qu’ils perçoivent comme une prise de pouvoir de la part de la classe ouvrière. Gestionnaires des usines, ils vivent comme une véritable humiliation les accords de Matignon, qui prévoient une négociation directe entre la classe ouvrière, le patronat et l’Etat, tandis que les résultats des négociations deviennent applicables à toutes les entreprises d’une même branche. Exclus du dialogue, et donc du jeu social, les ingénieurs vivent cette situation comme une humiliation et commencent à revendiquer une représentation officielle au sein des instances d’arbitrage. Ils s’organisent alors en syndicats. La CGT de son côté, nouvellement institutionnalisée, fait de nouveaux émules du côté des techniciens et employés. Parallèlement, les ingénieurs cherchent à réunir le maximum de personnes pour constituer autour d’eux un nouveau groupe de poids – « pôle attracteur » -, celui de la classe moyenne, qu’ils considèrent comme une « 3e voie » entre la classe ouvrière (le collectivisme) et le grand capital, la seule pouvant les sortir de la crise. Cette « 3e voie » s’appuie sur deux modèles, celui du catholicisme social et sur le fascisme de manière non officielle, utilisant par ailleurs ouvertement la peur qu’il inspire pour soutenir leurs exigences (donnez-nous ceux que nous demandons, si vous voulez éviter l’avènement du fascisme en France). Les représentants de la classe moyenne veulent se positionner en arbitre, entre la classe ouvrière (collectivisme) et le grand patronat (capitalisme). Georges Lamirand, ingénieur sorti de l’école Centrale, militant du Catholicisme social, déclare que dans les conflits qui opposent les ouvriers aux patrons, les ingénieurs sont comme « entre le marteau et l’enclume, oubliés de tous ». Le dénominateur commun de la classe moyenne est la possession d’un patrimoine. Ce qui exclut naturellement les ouvriers. Les petits patrons, les professions libérales et les rentiers, ceux qui relèvent de la bourgeoisie traditionnelle rallient le mouvement.  La notion de patrimoine exclut le grand capital financier,  les grands patrons qui sont jugés « égoïstes », ne remplissant pas le rôle social, qui font de l’argent pour faire de l’argent. Ils pensent que le problème de la crise est davantage un problème moral qu’économique. Ils fustigent l’argent « apatride », celui des juifs en particulier, participant activement  à la montée de l’antisémitisme, la « ploutocratie » (le pouvoir de l’argent).  L’argent anonyme, celui du crédit bancaire, des « trusts » opposé au patrimoine qui constitue l’instrument de travail des commerçants, artisans, petits chefs d’entreprises (capital personnel ou familial). Les ingénieurs rallient également chefs d’ateliers, contremaîtres, contrôleurs ou vérificateurs. Les conditions économiques incitent les patrons à demander l’augmentation du rythme des cadences, sans contrepartie. Les ouvriers travaillent dans des conditions de plus en plus difficiles. Ce sont les chefs d’atelier qui ont la charge de faire appliquer ces nouvelles consignes, parfois de façon très dure, contre lesquels les ouvriers se retournent parfois. Les fonctionnaires, eux sont exclus, considérés comme des « parasites » dans une vision qui fonctionne par opposition public/privé, fonctionnariat/libre entreprise, sécurité/risque, lâcheté mollesse/énergie courage, routine/innovation, soumission/liberté. Tandis que la « marxisme » a exercé un rôle catalyseur sur la classe ouvrière, ce sont les théories développées par les « personnalistes » qui inspirent les nouveaux tenants de la classe moyenne. Avec pour figure centrale Emmanuel Mounier, fondateur de la revue « Esprit » ou de l’Ordre nouveau de l’Action populaire qui prône la mise en place d’une société corporatiste. L’existence des classes sociales est reconnue au sein d’un ordre naturel défendant le principe que les hommes ne sont pas égaux, ni en dons ni en héritage, et que chaque classe à un rôle à jouer dans la société.
Les ingénieurs réunissent donc autour d’eux un certain nombre de catégories différentes, l’ensemble est hétérogène. La notion de patrimoine, qui regroupe les membres de la classe moyenne, est parfois étendue au capital social ou culturel…

C’est le gouvernement de Vichy qui va donner une reconnaissance officielle aux cadres (le terme vient de l’armée. C’est là que les ingénieurs vont chercher les schèmes de leur identité). Ils sont représentés par l’institutionnalisation, conformément à l’idéologie de la « 3e voie », du tiers-parti. Vichy crée un comité national pour le regroupement des cadres.
Dans ces années-là, l’identité du cadre n’est pas celle que l’on connaît aujourd’hui. Inspirée de l’identité militaire, sa représentation repose sur la virilité, la droiture, la supériorité physique, l’autorité, un caractère direct, le sens des réalités et du concret, la ténacité, l’acharnement au travail.

La Confédération générale des cadres est créée fin 1944. Elle regroupe 3 catégories : les cadres de direction (ingénieurs, cadres administratifs et commerciaux), les cadres de maîtrise (techniciens, cadres administratifs et commerciaux) et les VRP. Avec le temps, les distinctions s’atténuent mais les deux catégories demeurent au service de la première. La CGC reste toutefois favorable à l’élargissement de la population cadre afin de faire le poids face à la classe ouvrière. Ainsi, celui qui possède la plus petite responsabilité, peut-il accéder au titre symbolique de cadre même si les CSP font encore la différence entre cadre supérieur et cadre moyen jusqu’en 1982.

mardi 11 octobre 2011

Luc Boltanski, Les cadres. Introduction

Quel est le point commun entre le Directeur commercial d’une grande entreprise, le responsable du service logement d’une collectivité territoriale, un officier de la marine marchande, un professeur de lycée, un artiste plasticien… ? Ce sont des cadres.

Dans son ouvrage, « Les cadres, la formation d'un groupe social » (1982), Luc Boltanski cherche à comprendre comment s’est constitué ce groupe hétérogène et quel terreau commun symbolique le cimente. Pour cela, il commence par déconstruire la réalité en montrant l’hétérogénéité du groupe. Il plonge dans l’histoire de sa création et porte une attention particulière aux processus d’inclusion et d’exclusion qui ont conduit à sa constitution. Enfin, il reconstruit la dynamique symbolique d’unification qui lui a permis d'émerger et se maintenir.
Dans son introduction, Luc Boltanski donne la parole à un cadre d’entreprise qui a bien « bourlingué ». Il raconte les aléas de sa carrière, lui l’autodidacte qui se confronte régulièrement, dans son parcours, aux « vrais cadres » issus des grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce. Il partage avec le lecteur ce souci de la dialectique du titre, les petites manipulations dont il a été victime dans les entreprises de petits patrons arrivistes aux allures de « joueur de golf », l’angoisse de la quarantaine lorsqu'on occupe une fonction où la représentation joue son rôle, la banalisation de cette même fonction qui s’installe avec les années. Trop de cadres, oui. Avec les trente glorieuses, la situation économique autorise la création de nouveaux postes qui viennent gonfler les rangs. Les entreprises, par « respect » pour leurs clients, préfèrent envoyer des cadres en rendez-vous. Et la fonction se féminise. (Aujourd’hui, un poste de cadre sur trois est occupé par une femme). Notre cadre de fin de carrière donne à voir les différences entre les petites entreprises familiales qui opèrent dans un cadre national, « petits bourgeois » en déficit de capital culturel, et les grandes entreprises qui offrent les meilleures opportunités de carrière, les postes rêvés de cadres en complet cravatés – chemise blanche, diplômés de grandes écoles. Ils vont de déjeuners en séminaires et en voyages, conduisent des voitures de fonction, s’autorisent des notes de frais, fréquentent les clubs de sport. Ils ont la sécurité d'une entreprise fiable et confortable, le respect de leur Direction. Ils font preuve d’esprit d’initiative, ont le sens de la hiérarchie et de l’adhésion. Ambiance « paternaliste sans père », égalitarisme, multi-nationalisme et management à l’américaine sont au rendez-vous. L’image de la réussite triomphante dans sa forme la plus stéréotypée ne choque pas dans les années 80.

En remontant aux origines de la naissance du groupe de cadres, Boltanski nous ouvre l'accès à légende, au mythe du « jeune cadre dynamique ».

Luc Boltanski, de la sociologie critique au courant pragmatique de la critique

Sociologue contemporain français né en 1940, Directeur d'études à l'EHESS, Luc Boltanski a débuté sa carrière dans les années 70 au sein du groupe de Bourdieu. Il a participé au courant de sociologie critique qui allie approche scientifique (utilisant, dans une approche positiviste, les outils traditionnels de la sociologie - travail en laboratoire) et approche critique, libérée des considérations morales ou religieuses normatives. Le sociologue critique la société, en dévoile les dysfonctionnements et les asymétries, en s’appuyant par exemple sur « une anthropologie » (il montre que la société, telle qu’elle est, produit une aliénation de la vraie nature de l’homme), en confrontant les idéaux de la société et ce qu’elle fait en réalité, en montrant comment le système social aboutit à sa propre perte (c’est ce que fait le marxisme).
Au début des années 80, Luc Boltanski se détache du groupe de Bourdieu et créé son propre groupe de recherche avec d'autres étudiants en thèse. Il n'a pas abandonné l'approche critique de la sociologie. Mais considère que la sociologie critique, telle que pratiquée par Bourdieu, donne un rôle de dévoilement trop important aux sociologues. Qu'elle occulte, par ailleurs, les capacités critiques des acteurs, considérant qu'ils sont aliénés par la culture dominante et que leurs discours sont, par conséquent, calculés. Boltanski s'intéresse alors, avec quelques autres sociologues, à l’étude des discours conflictuels qu’ils utilisent comme matière pour modéliser la critique émanant des acteurs (en étudier les structures) auxquels ils font confiance, partant du principe que leur parole, leurs "allusions" fournissent les clés de compréhension de l'action sociale.

Source : interview de Luc Boltanski pour Mediapart

Sociologie et communication, des disciplines complémentaires

Dans le Nouveau manuel de sociologie (2010) dirigé par François de Singly, Christophe Giraud et Olivier Martin, enseignants et chercheurs au Cerlis (Université Paris Descartes, CNRS), Anne Gotman précise que pour appréhender les conditions de réception des messages d'information, les éventuelles inflexions nécessaires pour faire passer un message, le sociologue estimera nécessaire de saisir les rapports que la cible entretient avec le sujet (produit, service, information de sensibilisation dans le cadre d'une campagne publique d'information...), leurs attitudes et comportments réels, les raisons et justifications qu'ils en donnent. Une meilleure connaissance des attitudes vis à vis du sujet invoqué doit permettre d'améliorer la pertinence des messages.
La complémentarité entre sociologie et communication est une piste particulièrement  intéressante pour les futurs sociologues dans le sens où elle élargit leurs perspectives professionnelles et permet d'envisager des carrières dans bon nombre d'entreprises privées de tous secteurs. Elle est essentielle pour les communicants dans un monde qui se complexifie, mondialisé et où la concurrence fait rage. Une double compétence peut considérablement enrichir à la fois leur profil et leur approche stratégique.

samedi 1 octobre 2011

Définition de la représentation sociale, Gustave Nicholas Fischer

"La représentation sociale est un processus d'élaboration perceptive et mentale de la réalité qui transforme les objets sociaux (personnes, choses, contextes...) en catégories symboliques, valeurs, croyances, idéologies et leur confère un statut cognitif permettant d'intégrer les aspects de la vie ordinaire par un recadrage de nos propres conduites, à l'intérieur des interactions sociales."

mercredi 6 juillet 2011

Sur quoi se fonde la société ? Comment le lien social perdure-t-il ? [2/3]

Deuxième partie : de la philosophie de l’intérêt aux prémices du fonctionnalisme


Les sociétés ne sont pas seulement des Etats-Nations, elles rassemblent des individus. La notion d’individu libre et autonome apparaît avec l’avènement de la société moderne qui succède au monde des communautés. Le rationalisme prend le pas sur le sacré. L’individu devient central et l’emporte sur le groupe. Dès lors, qu’est-ce qui permet à la société moderne de perdurer ? De concilier liberté individuelle et organisation de la vie sociale ?

Les réponses apportées depuis le XIXe siècle relèvent de la « philosophie de l’intérêt ». Comme pour Louis Dumont (1911-1998) pour qui les sociétés individualistes et égalitaires « mettent en leur cœur les relations instrumentales, les relations aux choses, dominées par une idéologie économique ». Ou pour des sociologues tels que Ferdinand Tönnies (1855-1936), qui considère que la société moderne, qui regroupe des individus autonomes, tient par la « convention », la vie sociale apparaissant comme le produit d’un contrat. La « stabilité sociale est dans tous les cas fondée sur la liberté de l’individu de poursuivre la recherche de son propre bonheur ». Il contribue ainsi au bonheur collectif.

Une nouvelle approche né avec la « tradition sociologique » qui s’oppose à cette philosophie de l’intérêt qui pour les sociologues sape les fondements de la vie collective, tandis que la communauté ne peut plus être une réponse à la préservation conjointe de l’ordre social et de la liberté individuelle. Cette nouvelle réponse, c’est l’institution. Institution religieuse pour Tocqueville (1805-1859) qui a étudié la société américaine au sein de laquelle cohabitent harmonieusement esprit religieux et esprit de liberté. « L’individualisme y est tempéré par la religion qui cimente les communautés et alimente la vertu, fondement de l’esprit civique ». Pour Tocqueville « la société désigne le système d’interrelations qui lie l’ensemble des individus qui partagent une culture commune. Aucune culture ne pourrait exister sans une société. Mais également, aucune société ne pourrait exister sans une culture ».

Durkheim (1858-1917) s’oppose à la vision de Tocqueville car il considère que le religieux est le point d’ancrage des anciennes communautés traditionnelles. Pour lui, c’est l’école, l’éducation qui joue désormais un rôle d’intégrateur social. A la religion, se substitue une morale laïque et rationnelle.

En fait, Durkheim s’inscrit dans la tradition darwinienne de son époque. La société moderne est le « résultat d’un processus général de différenciation ». « Les fonctions sociales sont différenciées : elles sont séparées les unes des autres et sont remplies par des individus, des genres, des groupes et des institutions différentes ». C’est une société complexe marquée par la différenciation fonctionnelle et structurelle. Dans ce cadre, le religieux disparaît au profil du rationnel. Nous attendons par exemple du médecin qu’il nous prescrive un traitement relevant de la science et non pas d’une puissance divine.

La thèse de Durkheim expliquant la capacité de l’homme moderne libre à fonder un ordre social stable est « la volonté » comme capacité à agir conformément à la raison. Une raison qui se développe à travers un processus d’intériorisation des morales civiques et professionnelles transmises par le biais des institutions (notamment l’école) et des corps intermédiaires. Et qui font de l’homme, avant tout, un être social.

Dans cette logique, Durkheim considère que si l’intégration faiblit « l’infini des désirs sans bornes progresse et génère l’anomie », la régression de l’espèce humaine à un stade inférieur. C’est pourquoi il est essentiel que « les hommes dominent les femmes, que le monde du public et de l’action qui libère le monde du privé et des sentiments qui asservit. Lapeyronnie remarque que ces idées n’ont rien d’anecdotique et qu’elles sont à la source de nos représentations modernes des genres. C’est là que l’on comprend que la morale dite laïque découle bien de la morale religieuse, reprenant ici le flambeau de la domination masculine. Les procédés utilisés sont toujours les mêmes : recours aux mythes, justification en apparence raisonnée. Rappelons-nous les Baruya de Maurice Godelier qui eux aussi craignaient le désordre et privaient à cet effet les femmes de leur pouvoir d'action.

Sur quoi se fonde la société ? Comment le lien social perdure-t-il ? [1/3]

Première partie : de la société traditionnelle à l’Etat-Nation

Dans son cours de sociologie générale, Didier Lapeyronnie (1) stipule que la sociologie est une science « accumulative », c’est-à-dire que « les théories et les débats s’empilent […] comme en témoigne la présence continue des pères fondateurs ». Chaque période est marquée par l’apparition d’un débat avec la période précédente et l’ouverture d’une nouvelle discussion. « Nous nous intéressons moins aux constructions théoriques formelles et aux modélisations qu’à la logique des élaborations qui permettent de construire des débats ».

Parmi les grands débats de la sociologie, celui de la fondation de la société (ou des sociétés) et de la pérennisation du lien social. Deux grandes réponses sont tout d’abord apportées (au XIXe siècle) à travers les approches respectives des sociologues américains et européens.

Pour les premiers, la société se fonde sur une culture commune, une culture partagée. Une réponse qui s’inscrit dans la logique d’une société composée d’individus venus d’horizons très divers.

Pour les seconds, la société serait une « réalité fondée sur la maîtrise de la nature et l’utilisation des ressources générées par le travail pour fabriquer l’histoire » ; cette version européenne est celle d’une société entrée violemment dans la modernité qui a vécu comme un arrachement la rupture avec le système culturel et politique traditionnel.

La grande crainte des hommes est de voir, avec la modernité, la société et le lien social s’étioler jusqu’à ce que Durkheim (1858-1917) nomme, dans sa forme la plus extrême, l’anomie (c’est-à-dire la dissolution du lien social, la perte des normes et des valeurs, l’avènement d’un individualisme total qui mène aux conflits et aux guerres). En effet, dans la société traditionnelle, les individus évoluent au sein de groupes d’appartenance hiérarchisés et intangibles où la stabilité et la solidarité sont de mise (Tocqueville 1805-1859). La société moderne, elle, privilégie le rationalisme en opposition à un ordre divin ou naturel externe, se complexifie dans son organisation, l’individu est libre et capable de mobilité. Ses droits l’importent sur ceux de la collectivité. L’individualisme apparaît alors, conséquent de la dissolution progressive des liens de solidarité, et avec lui le conflit (en opposition à l’ordre), le désordre social. Dès lors, les hommes, conscients que les changements incessants depuis la révolution française, menacent la stabilité du pays, cherchent à ordonner la vie sociale. Et c’est la « nation » qui « offre la perspective de l’association d’une unité politique, d’une culture commune et d’une économie intégrée . Telle sera la solution ». La construction de la nation passe notamment par l’élaboration d’une histoire nationale qui a lieu à la fin du XIXe siècle, racontant la « construction longue, difficile et souvent héroïque » de l’unité.

En Allemagne, Max Weber (1864-1920) considère que l’action politique doit viser à « tempérer les effets de l’économie moderne » pour aller dans le sens d’une unification sociale de la nation. Il affirme la nécessité d’une « légitimité charismatique » (chef/leader) aux côtés d’une « légitimité légale et rationnelle » susceptible de tomber dans la bureaucratie.

La société nationale a donc remplacé les communautés, la solidarité mécanique (liens sociaux entre individus ayant des valeurs communes) a été remplacée par une solidarité organique (les individus, comme des organes à l’intérieur du corps humain, dépendent les uns des autres).

(1) cours de sociologie générale

mercredi 25 mai 2011

Le processus d'ancrage

La notion d'ancrage concerne l'enracinement social de la représentation. Elle articule les trois fonctions de base de la représentation : fonction cognitive d'intégration de la nouveauté, fonction d'interprétation de la réalité, fonction d'orientation des conduites et des rapports sociaux.

Pour illustrer la manière dont les représentations donnent du sens aux objets, Denise Jodelet utilise l'exemple de la psychanalyse. Les chercheurs qui traitent des représentations utilisent en effet, souvent, des théoriques scientifiques comme objet de recherche, tout comme des théories économiques et politiques qui ont des répercussions sociales immédiates. Ces théories font l'objet, par le public, d'interprétations, de reformulation, d'adaptation en fonction de l'angle selon lesquelles on les aborde (politique, philosophique, religieux...), de sa propre culture et de son propre système de valeur. C'est cela que l'on appelle le phénomène d'ancrage.
Dans le cas de la psychanalyse, par exmple, Jodelet explique que "selon qu'un groupe situera la pratique analytique dans une perspective politique ou scientifique, il aura tendance à lui prêter des utilisateurs différents, par exemple des gens riches dans le premier cas, des intellectuels dans le second."
Le groupe exprime donc sa culture, ses valeurs, son identité à travers la façon dont il investit ses représentations.
L'ancrage, c'est aussi la capacité des représentations non plus seulement à exprimer des rapports sociaux mais à les constituer. Dans le cas de la psychanalyse, la représentation transforme la science en savoir utile pour tous. Ce processus s'inscrit dans la continuité de l'objectivation qui transforme un objet abstrait (la science ici) en objet concret. C'est ainsi que les représentations fournissent des grilles de lecture communes aux membres d'une même société. "Le système d'interprétation a une fonction de médiation entre l'individu et son milieu et entre les membres d'un même groupe". Il fournit des cadres, des repères par lesquels l'ancrage va classer, expliquer. Mais à la base de "toute représentaiton, un substrat représentatif sert de pré-supposé" ce qui signifie que l'on classe par interprétation (intervention du jugement). L'ancrage autorise les conclusions rapides posées d'avance.
Parce qu'une représentation ne "s'incsrit pas sur une table rase", il arrive qu'elle bouscule les autres représentations (exemple du massage fonctionnel qui devient jouissif et change le rapport au corps qui passe d'un objet biologique à un objet de plaisir), les excluent ou les rejoint par fusion.

mardi 24 mai 2011

Limites de l'habitus dans la société "contemporaine"

Cet article fait suite à Bernard Lahire relit la théorie de l'habitus.

Le concept d'habitus apparaît avec Durkheim. Il correspond à ce qu'il a identifié au sein de sociétés restreintes, fermées, qui développent des modes de penser, d'agir et de sentir homogènes (sociétés traditionnelles, exemple de l'internat). Bourdieu s'en est inspiré, comme il s'est inspiré également de l'approche d'Erwin Panofsky qui a mis en évidence l'existence d'une "forme formatrice d'habitudes" tout en spécifiant l'exceptionnalité du contexte historique dans lequel on retrouve ce type de processus. Tandis que Bourdieu l'a généralisé aux classes sociales. Ce que Bernard Lahire remet en question est le fait que Bourdieu ait bâti sa théorie à partir de l'observation d'une société faiblement différenciée (pré-industrielle, précapitaliste), la société traditionnelle des paysans colonisés d'Algérie dans les années 60.

Comment différencie t-on une société "traditionnelle" d'une société "contemporaine" ?

La société traditionnelle :
  • possède une démographie généralement faible
  • forte inter-connaissance
  • chacun peut exercer un contrôle sur autrui
  • la division du travail, la différenciation des fonctions sociales et des sphères d'activités y sont peu avancées
  • il y a stabilité et durabilité des conditions de vie
  • un seul modèle de socialisation

Tandis que la société contemporaine se distingue par :
  • l'étendue de l'espace et l'étendue démographique
  • une forte différenciation des sphères d'activité (économique, politique, juridique, religieuse, morale, scientifique, philosophique...), des institutions, des produits culturels, des modèles de socialisation
  • une moindre stabilité des conditions de vie
Dans nos sociétés contemporaines, les enfants sont confrontés à des modèles contradictoires (famille, école, institutions culturelles ou sportives, groupes de pairs, medias...) qui donnent toutes ses limites au concept de l'habitus puisqu'ils sont soumis à diverses influences et peuvent développer des façons d'être et d'agir différentes en fonction des milieux au sein desquels ils se trouvent. Lahire décrit d'ailleurs le même processus chez l'adulte.

dimanche 22 mai 2011

Le processus d'objectivation

L'objectivation peut se définir comme une "opération imageante et structurante", elle a la propriété de rendre concret l'abstrait, de matérialiser le mot. "Objectiver, c'est résorber un excès de significations en les matérialisant" (Moscovici, 1976). Pour expliquer l'objectivation, Denis Jodelet fait référence à l'exemple de Roqueplo (1974) : nous parlons de poids alors qu'il s'agit de masse parce que la notion de masse est plus difficile à appréhender. Les savoirs scientifiques dont on a du mal à définir les contours sont en quelque sorte simplifiés. "Dans l'ignorance des conventions qui fixent le rapport du langage scientifique au réel, le public prend le concept comme l'indicateur d'un phénomène attesté". Le complexe d'Oedipe ne se rapporte plus, pour le public, à un rapport entre l'enfant et le parent mais à un signe visible, un attribut de la personne. Nous pourrions aussi donner l'exemple de l'appendicite vue comme  une opération chirurgicale alors qu'il s'agit d'une inflammation soudaine ou d'un gonflement de l'appendice.

Je fais une parenthèse : je serais tentée de faire un rapprochement entre processus d'objectivation  et processus rhétoriques utilisés en littérature.  La métonymie, par exemple, consiste à dénommer un concept au moyen d’un terme désignant un autre concept, lequel entretient avec le premier une relation d’équivalence ou de contiguïté (la cause pour l’effet, la partie pour le tout, le contenant pour le contenu, etc.). Une voile symbolisera par exemple un bateau, on dira "je vais boire un verre". Il me semble que l'étude des figures de rhétorique peut être assez pertinente pour accéder aux représentations, comprendre individuellement leur fonctionnement, voire leur origine.

Denise Jodelet explique le processus d'objectivation d'une théorie scientifique en 3 phases : la première consiste en une sélection constructive. L' individu trie les informations en fonction de critères culturels (tout le monde n'a pas le même accès à l'information) et normatifs (on ne retient que ce qui est en phase avec son système de valeurs). Ces informations sont détachées de la théorie scientifique, elles sont appropriées par l'individu qui les projette comme faits de son univers propre pour les maîtriser.
La seconde phase consiste en une shématisation structurante avec la formation d'un "noyau figuratif", structure imageante qui reproduit de manière visible une structure conceptuelle, en phase avec la culture et les normes sociales de l'individu.
La troisième phase est celle de la naturalisation : le modèle figuratif va permettre de concrétiser, en les coordonnant, chacun des éléments qui deviennent des êtres de nature. Le modèle figuratif acquiert un statut d'évidence : "tenu pour acquis, il intègre les éléments de la science dans une réalité de sens commun". Jodelet donne des exemples : "les parties conscientes et inconscientes de l'individu sont en conflit", "les complexés sont agressifs"... (idées reçues). La naturalisation a valeur de généralisation. Elle est présente au sein de la société et observable par exemple, au niveau des relations entre ethnies, groupes sociaux : "une image, un mot, suffisent à figer l'autre dans un statut de nature".

Le modèle de l'objectivation est très intéressant parce qu'il est généralisable : c'est ainsi que fonctionne le processus de vulgarisation scientifique. Mais au-delà, il permet d'apporter une explication d'un point de vue logique/pensée sociale. La shématisation peut être utilisée dans le cadre d'une communication à finalité sociale (voire politique).
Le modèle de reconstruction de la réalité permet de comprendre l'origine des représentations.

lundi 9 mai 2011

Les 5 éléments fondamentaux de la représentation sociale, Denise Jodelet

  • Elle est toujours représentation d'un objet. Celui-ci peut être concret, abstrait, cela peut être une personne ou un groupe. La représentation est toujours la représentation de quelqu'un. Elle est donc tributaire de la position de l'individu dans la société, l'économie, la culture,
  • elle a un caractère imageant et la propriété de rendre interchangeable le sensible et l'idée, le percept et le concept. Le concept se définit comme une représentation mentale générale et abstraite. Le percept désigne l'objet de la perception. Avec son caractère imageant, la représentation permet d'illustrer des notions abstraites, de leur donner forme.
  • elle a un caractère symbolique et signifiant : elle renvoie à autre chose - elle a une face figurative et une face symbolique,
  • elle a un caractère constructif : elle fait apparaître une part d'interprétation chez celui qui livre sa représentation. Pour Abric, " toute réalité est représentée, c'est-à-dire appropriée par l'individu ou le groupe, reconstruite dans son système cognitif, intégrée dans son système de valeurs dépendant de son histoire et du contexte social et idéologique qui l'environne,
  • elle a un caractère autonome et créatif : il s'agit d'une représentation individuelle ou collective qui se construit librement.

Et enfin, elle comporte toujours quelque chose de social.

En savoir + sur le concept de représentation sociale
Article de Marie-Odile Martin Sanchez

mardi 3 mai 2011

Dimension sociale de la représentation, Denise Jodelet

Pour Denise Jodelet, "Le concept de représentation sociale désigne une forme de connaissance spécifique, le savoir de sens commun, dont les contenus manifestent l'opération de processus génératifs et fonctionnels socialement marqués. Plus largement, il désigne une forme de pensée sociale." Il me semble, sauf erreur de compréhension de ma part, que Denise Jodelet aborde et définit le concept de représentation sociale de manière plus politique que ne le font Moscovici ou Abric. Avis bienvenus.

"Les représentations sociales sont des modalités de pensée pratique orientées vers la communication, la compréhension et la maîtrise de l'environnement social, matériel et idéel". On retrouve ici l'approche de Moscovici ou de Denis pour qui les représentations sociales constituent des grilles de lecture permettant aux individus d'échanger à partir d'un système de référence commun. Je suis assez surprise de découvrir, moi qui m'intéresse depuis peu aux travaux des chercheurs en sociologie, leur capacité à formuler les mêmes idées de manière différente, avec l'aplomb de celui qui vient de faire une bonne "trouvaille". Cela dit, l'exemple est mal choisi car Denise Jodelet fait partie des chercheurs les plus contributifs sur le thème des représentations, qu'elle dispose d'une brillante capacité d'analyse, de synthèse et de communication (savoir écrire, se rendre clair et être compris) qui n'est pas donnée à tous.

Denise Jodelet décrit la dimension sociale des représentations. Son approche permet de justifier (c'est un avis personnel) l'intérêt de traiter, dans le cadre d'une étude sociologique, de sujets de recherche à caractère économique pouvant être considérés par la sociologie comme dotés d'un faible (voire nul) intérêt social. Je trouve très stimulant pour ma part, de porter un regard sociologique sur des thèmes liés à l'économie, au marché, au marketing, à la communication ou au management.
"Le social y intervient de plusieurs manières : par le contexte concret où sont situés personnes et groupes ; par la communication qui s'établit entre eux ; par les cadres d'appréhension que fournit leur bagage culturel ; par les codes, valeurs et idéologies liées aux positions ou appartenances sociales spécifiques".

vendredi 22 avril 2011

Bernard Lahire relit la théorie de l'habitus

Souvenez-vous de ce billet sur la question du goût vue par Pierre Bourdieu...Nous allons maintenant présenter l'analyse de Bernard Lahire et sa relecture de la théorie de l'habitus. Sans remettre en cause l’existence des classes sociales comme cela lui a parfois été reproché, Bernard Lahire démontre, à partir de l'analyse d'une centaine d'entretiens, que l’individu se définit, non pas à partir d'un héritage culturel unique (et cloisonné) lié à son appartenance à une classe sociale, mais à partir de plusieurs héritages acquis au contact de multiples institutions et individus, comme la famille, l'école, les amis, l'univers professionnel etc. Pour Bernard Lahire, la question du goût et des pratiques culturelles est bien plus complexe qu’elle n’apparaît dans l’analyse de Pierre Bourdieu. En opposition avec une approche de déterministe, Lahire développe une sociologie qui tient compte des dispositions et des contextes pour mettre au jour des variations ; une sociologie qui se situe à l’échelle de l’individu, qui met en évidence la multiplicité et la complexité des interactions entrant dans le jeu de la socialisation des acteurs.


Entretien avec Bernard Lahire, sociologue par laviedesidees



Il explique que la plupart d’entre eux connaissent au cours de leur vie de légers (ou plus prononcés) « déplacements » dans leur manière d’être, de penser et d’agir en fonction des expériences qu’ils vivent et qu’ils intériorisent, « plient » et « déplient » au grès des situations rencontrées. Pour Bernard Lahire, Bourdieu n’a pas effectué le travail de terrain nécessaire, ce qui l’a conduit à caricaturer les différences entre classes sociales. Lahire reconnaît volontiers l’existence d’un habitus culturel mais le place de façon exclusive aux deux extrémités de la hiérarchie sociale : la classe la plus élevée cherche à sociabiliser ses enfants dans l’objectif de pérenniser leur appartenance sociale en organisant le suivi de leur vie scolaire, en veillant à leur proposer des activités extra-scolaires en phase avec leur positionnement social, en surveillant leurs fréquentations… Tandis que la classe la moins élevée, du fait d’une certaine misère sociale et culturelle, reproduit les mêmes schémas d’une génération à l’autre. Pour lui, le concept d’habitus ne concerne qu’une petite partie de la population. La grande majorité, issue de la classe moyenne, peut tout à la fois aller à l’opéra et suivre une série de télé-réalité, s’inscrivant dans ce qu’il nomme un contexte de « dissonance sociale ». Les individus oscillent entre recherche de légitimité et « laisser aller » qu’ils considèrent avec un certain sentiment de culpabilité. Alors que pour Bourdieu, la distinction agit dans la recherche d’imposition des goûts et des modèles de la classe la plus élevée, Lahire la resitue au niveau de l’individu. Ce dernier a intériorisé la hiérarchie des pratiques culturelles et recherche à se distinguer (« distinction de soi ») par rapport à son entourage, amis, famille, voisins. Pour Lahire, le moteur de la distinction est la peur de chuter, de régresser dans la hiérarchie sociale.

samedi 16 avril 2011

« Nouvelles orientations en sociologie de la consommation »

"La sociologie de la consommation remonte aux origines mêmes de la discipline, mais elle a tardé à être institutionnalisée. Cet article passe en revue les travaux précurseurs et les orientations théoriques actuelles en sociologie de la consommation et il analyse les voies nouvelles et les perspectives de recherches en émergence. L’innovation technique et l’innovation sociale, l’avènement d’une nouvelle culture matérielle, un nouvel imaginaire social, le lien entre stratification sociale et consommation, et la question de la convergence des comportements sont examinés. Le phénomène de la consommation est expliqué comme résultant d’une combinaison de l’utilité, de la distinction et de la recherche du plaisir et de la satisfaction. Moins étudié que les autres, ce dernier aspect a pris plus d’importance, mais une théorie sociologique plus achevée de la consommation reste à développer."
« Nouvelles orientations en sociologie de la consommation »

Simon Langlois - L'Année sociologique 1/2002 (Vol. 52), p. 83-103.

jeudi 14 avril 2011

Qu'est-ce que la psychologie sociale ?

Nous avons évoqué dans le dernier billet le concept de représentation pour lequel Serge Moscovici, père de la psychologie sociale, avait été l'un des chercheurs les plus contributifs. Dans l'ouvrage Psychologie sociale qu'il a dirigé, Pierre Moscovici introduit la psychologie sociale comme la "science du conflit entre l'individu et la société" : résistance aux pressions conformistes, opposition au leader et au groupe, déviations, prises de décisions au sein d'un groupe, captation d'un individu par la masse. On mesure encore ici tout l'intérêt d'étudier ces mécanismes complexes pour nos jeunes étudiants (rappelez-vous, je prône l'enseignement des sciences sociales dans les filières qui forment nos futurs cadres et managers).

Objets centraux de la psychologie sociale : l'idéologie d'une part, qui couvre les systèmes d'attitude et de représentation ; la commmunication d'autre part - échanges de messages linguistiques et non linguistiques (moyens utiles pour transmettre une information et influencer autrui) qui incluent les moyens de communication de masse d'influence collective (publicité, propagande) et les processus linguistiques mais aussi les faits sémantiques (sémiologie). Pour résumer, la psychologie sociale analyse les faits qui sont à la fois psychologiques et sociaux : communication de masse, langage, influences, images, signes et représentations sociales.

Le regard psychosocial a ceci de particulier qu'il observe davantage qu'il n'écoute (par rapport à la sociologie ou la psychologie). Une observation qui se pratique souvent derrière un miroir sans tain, objet emblématique du psycho-sociologue tel que décrit par Moscovici. Son rôle est d'explorer le côté subjectif de ce qui se passe dans la réalité objective.
La psycho-sociologie considère la relation qui existe entre l'objet social, l'ego (le sujet) et l'alter (le sujet social) à la différence de la psychologie axée sur la relation objet/sujet et la sociologie axée sur la relation objet/collectivité.


On trouve 3 types de théories en psychologie sociale :
  • théories paradigmatiques dont le rôle essentiel est de proposer une vision globale des relations et des comportements humains
  • théories phénomènologiques qui visent à expliquer les phénomènes tels que l'influence, en répondant aux questions "pourquoi" et "comment" ?
  • théories opératoires qui tendent à dégager un mécanimse élémentaire ignoré jusque-là et qui expliquent un ensemble de faits. Par exemple, la théorie de la dissonance cognitive.
Le psycho-sociologue utilise en général deux méthodes de recherche : l'observation systématique sur le terrain (prise de notes, enregistrements sonores, vidéo...) qui comprend la réalisation des enquêtes et sondages ; la méthode expérimentale en laboratoire qui met en scène des situations et des phénomènes pour les étudier.

mardi 12 avril 2011

Le concept de représentation

Le mot représentation se compose en deux parties
La première « re » indique une répétition qui peut être, selon le dictionnaire, une simple répétition, une répétition avec changement ou la reprise de l’action avec progression (Robert méthodique 1987). La deuxième partie du mot : « présentation » peut être comprise comme un moyen de connaître par désignation. La représentation est donc l'action qui reconstruit l’image d’un objet, préalablement désigné.

La représentation sociale a fait l'objet de très nombreuses études depuis Durkheim qui l'appréhendait tant au niveau individuel que collectif. Mais c'est Serge Moscovici, père fondateur de la psychologie sociale, qui a remis le concept de représentation sociale sur le devant de la scène dans les années 80.
Considérées comme des grilles de lectures et des guides d'action pour l'individu par Michel Denis « Les représentations sont un produit de l’esprit humain qui recrée en lui une image complexe de son environnement afin de mieux penser et agir sur celui-ci. »

Comment cela se produit-il  concrètement ?
L'individu subit tout d'abord l'effet d'une perception, étape intermédiaire entre l’objet et sa représentation, définie ainsi par Madeleine Grawitz en 1994 : « fonction par laquelle notre esprit se forme une représentation des objets extérieurs ». Notons que cette perception est rendue possible par nos sens : le toucher, l'ouïe, la vue, le goût.
L’objet est alors imaginé et associé à une idée connexe, puis il est classé. La classification est rendue possible parce qu’il y a eu auparavant association image/idée. Cela permet de mettre en rapport plusieurs objets et symboles. La classification d’objets opérée par la représentation agit à la fois comme système de référence et comme système d’ordination.
Les représentations fournissent donc un cadre de référence à l’individu qui lui permet de s’orienter dans le groupe et dans son environnement.

Pour Serge Moscovici les représentations ont des « spécificités individuelles mais également un noyau partagé par la plupart des esprits humains »
D’une part, parce qu’ils participent à la même culture, d’autre part parce que les représentations portent sur des phénomènes sociaux, qu’elles sont « issues et héritées de la société ». Serge Moscovici s’intéresse aux représentations sociales en tant qu’interactions entre individus et/ou groupes étudiés dans leur dynamique, leur élaboration, leurs évolutions.

La notion de noyau est reprise et développée par Jean-Claude Abric
Toute représentation sociale est constituée d’éléments « périphériques » organisés autour d’un petit nombre « d’éléments centraux » qui expriment les significations que les individus du groupe assignent collectivement à une représentation. C’est la partie « dure » de la représentation, la partie la plus consensuelle de la représentation. Prenons l'exemple d'un objet : une Ferrari.
Le noyau central des représentations relatives à une Ferrari est constitué par :
  • la nature de l'objet représenté (on est tous d'accord pour dire que c'est une voiture)
  • la relation de cet objet avec le sujet ou le groupe (on est tous d'accord pour dire qu'elle sert à se déplacer)
  • le système de valeurs et de normes (on est tous d'accord pour dire que c'est une voiture de luxe)

Les éléments périphériques expriment des points de vue individuels tout en respectant une logique à tout le groupe car ces dernières sont interprétées à partir du noyau central.
Dans l'exemple de la Ferrari, nous pourrons par exemple trouver "l'esthétique" valeur relative en fonction du goût des uns et des autres, la "chèreté" valeur relative en fonction des moyens financiers de chacun et du prix que l'on est prêt à mettre pour obtenir cette voiture.


 


mardi 29 mars 2011

Les rites comme actes d’institution, Pierre Bourdieu

Dans son article « Les rites comme actes d’institution », publié dans « Actes de la recherche en sciences sociales, en 1982, Pierre Bourdieu s’intéresse à la signification et à la fonction sociale des rites alors que Arnold Van Gennep et Victor Turner n’ont proposé selon lui, qu’une analyse descriptive de leurs différentes phases.

Consacrer la différence

Ce n’est pas tant le passage d’un stade à un autre qui retient son attention que l’effet de séparation qu’il provoque entre les individus qui ont subi un rituel et ceux qui ne le subiront jamais, marquant ainsi leur différence. C’est pourquoi, Bourdieu parle de rite de légitimation ou de rites d’institution. Il prend l’exemple de la circoncision. Elle ne peut être appliquée qu’aux hommes – enfants ou adultes. En traitant de façon différente les hommes et les femmes, le rite de la circoncision consacre, institutionnalise leur différence. Il constitue en distinction légitime, en institution, une simple différence de fait.

Agir sur la représentation du réel

Comment s’opère la consécration d’une différence ? Quels en sont les effets ? Pour Bourdieu, les sciences sociales doivent prendre en compte l’efficacité symbolique des rites d’institution, c’est-à-dire le pouvoir qui leur appartient d’agir sur le réel en agissant sur sa représentation (il rejoint en cela l’analyse de Maurice Godelier me semble-t-il). L’investiture, qu’il donne en exemple, transforme :

• la représentation que les autres se font de la personne investie et leur comportement à son égard

• la représentation que la personne investie se fait d’elle-même et les comportements qu’elle se croit tenue d’adopter.

« Le titre de noblesse ou le titre scolaire, multiplient, et durablement, la valeur de leur porteur en multipliant l’étendue et l’intensité de la croyance en leur valeur ».

Signifier à l’individu son identité

Le rite d’institution est aussi un acte de communication qui a vocation à signifier à quelqu’un son identité à la « face de tous » en lui notifiant avec autorité ce qu’il doit faire et ce qu’il doit être. A chacun de « tenir son rang », de se conduire en conséquence de ce qu’il est. « Deviens ce que tu es » constitue pour Bourdieu la formule qui « sous-tend la magie performative de tous les actes d’institution ».

Décourager la transgression

L’acte d’institution a aussi pour fonction de décourager la transgression. Bourdieu donne pour exemple imagé la muraille de Chine qui a pour rôle à la fois d’empêcher les étrangers d’entrer et les Chinois de sortir (selon Owen Lattimore). En rappelant aux individus leur identité et le rôle qui leur est assigné, le rite d’institution entend les sauvegarder du déclassement, leur éviter la tentation de déroger à la règle. Cela passe par l’éducation, l’incorporation, sous la forme de « l’habitus » qui permet de fixer à chacun ses limites, de rester à sa place.

Effet et efficacité des rites douloureux

Les expériences psychologiques qui ont été menées montrent que les rites initiatiques sévères et douloureux pour le corps provoquent une adhésion plus forte à l’institution. Les exemples ne manquent pas : pratiques religieuses ascétiques, formation des élites (écoles préparatoires), rites initiatiques des tribus primitives… mais aussi pratiques du bizutage.

Les stratégies de condescendance

Bourdieu appelle « stratégies de condescendance ces transgressions symboliques de la limite qui permettent d’avoir à la fois les profits de la conformité à la définition et les profits de la transgression ». Le condescendant a le privilège de prendre des libertés sur son privilège. Sûr de son identité culturelle, il peut jouer avec la règle et afficher ses goûts pour des choix qui ne relèvent pas du milieu social auquel il appartient.

L’acte doit être garanti par tout le groupe

Les actes que Bourdieu qualifie de « magie sociale » (mariage, baptême, signature, adoubement…) ne peuvent être réussis que s’ils bénéficient de la reconnaissance de tout le groupe. La légitimité du mandataire est fondée non dans sa croyance singulière en ce qu’il fait mais dans la croyance collective, garantie par l’institution et matérialisée par un titre ou par des symboles (galons, uniforme par exemple). Un titre (Monsieur le Président) est un témoignage de reconnaissance à l’égard de l’institution et non de la personne qui le porte. « La croyance de tous, qui préexiste au rituel, est la condition de l’efficacité du rituel ».

Les rites d’institution : une raison d’être ?

Bourdieu termine son article sur une interrogation qu’il qualifie lui-même de métaphysique : « les rites d’institution n’ont-ils finalement pas pour rôle de donner de l’importance aux êtres humains ? Et de conclure que s’ils répondent aux besoins des uns de les arracher à leur insignifiance, ils entraînent les autres dans le néant.

dimanche 13 mars 2011

Nouvelle page dédiée aux symboliques...

Cette page a pour objet de donner un aperçu des symboliques généralement rattachées aux objets, animaux, végétaux etc. utilisés dans les jeux de portraits chinois dans le cadre de réunions qualitatives ou de créativité. Les versions retenues privilégient les caractères intrinsèques aux objets étudiés par rapport aux croyances.
A découvrir et à enrichir...

mercredi 9 mars 2011

Méthodes qualitatives, quelques techniques de recueil des données

Les auteurs du Que sais-je sur les "Méthodes qualitatives"* présentent un certain nombre des techniques de recueil des données qu'ils utilisent dans leur cabinet d'études :
  • Entretien semi-directif en face-à-face qui permet de décrire des pratiques, mettre en évidence des interactions sociales, cerner des représentations...
  • Histoire de vie "centrée" : entretien construit autour de la trajectoire de vie d'un individu, centré sur l'objet de l'étude, qui permet d'appréhender une utilisation, une représentation à plusieurs étapes de la vie
  • Observation "aménagée" : elle se déroule sur le lieu de la pratique et vient compléter le déclaratif
  • Table ronde : utilisée en complément d'autres techniques, elle permet d'appréhender les imaginaires sociaux (animation de groupes composés de 8 à 12 participants)
  • Techniques visuelles : elles peuvent être utilisées en illustration pour matérialiser les résultats de l'enquête, en complément de l'observation, en support à commenter par les interviewés, ou mises à disposition des interviewés (une caméra, un appareil photo, un crayon pour dessiner...) comme support d'expression, en support d'analyse sémiologique dans le cadre d'une analyse comparative chez plusieurs personnes enquêtées.
Les enquêtes peuvent aussi se dérouler via internet dans le cadre de blogs, entretiens individuels ou de groupes en ligne.

*Sophie Alami, Dominique Desjeux, Isabelle Garabuau-Moussaoui


 

jeudi 24 février 2011

Les méthodes qualitatives

"Les méthodes qualitatives" de Sophie Alami, Dominique Desjeux et Isabelle Garabuau-Moussaoui, collection Que sais-je chez Puf, donnent un aperçu très concret du métier de chargé d'études. L'ouvrage s'appuie sur l'expérience des auteurs pour expliquer comment se construisent les enquêtes qualitatives en présentant les principales méthodes utilisées : élaboration des outils de collecte de données, recueil des informations, transcription, analyse, restitution des résultats. Il apporte aussi un éclairage sur le fonctionnement d'un cabinet d'études, avec tout ce que cela implique en termes de prospection clients, contraintes de marchés, rédaction de proposition de recherche, signature de contrats, recrutement d'un panel...

Voici quelques-unes des idées générales que nous retiendrons de cet ouvrage sur les méthodes qualitatives :

Tandis que les méthodes quantitatives utilisent une échelle d'observation macro-sociale, les méthodes qualitatives adoptent d'autres échelles d'observation, essentiellement meso-sociale (celle des organisations, institutions, filières socio-économiques...), micro-sociale (acteurs en interaction), micro-individuelle (pour appréhender, par exemple, les critères de prise de décision ). Voir article Dominique Desjeux sur les échelles d'observation.

La démarche de recherche n'est plus hypothético-déductive mais inductive. "Elle analyse les mécanismes sous-jacents aux comportements et l'interprétation que les acteurs font de leurs propres comportements". Voir article sur les 3 grandes démarches scientifiques.
Il s'agit d'une démarche compréhensive : on ne part pas d'hypothèses fermées à valider ou infirmer mais de questions larges à inverstiguer en tenant compte de l'émergence de nouvelles idées. Même s'il est utile en amont de  réaliser un état des recherches réalisées sur le même sujet, qui permettra de repérer des thématiques peu investies susceptibles de déboucher sur des innovations en termes de résultats.

Les méthodes qualitatives mettent l'accent sur les effets de situation plus que d'apparteannce sociale qui relève des méthodes quantitatives, les interactions sociales sous contraintes, la place de l'imaginaire, le jeu des acteurs avec les normes sociales. Elles sont utilisées pour étudier des phénomènes sociaux émergents, en créativité dans un processus entrepreneurial d'innovation, pour résoudre des problèmes, illustrer des enquêtes quantitatives ou les préparer.

Elles permettent de faire apparaître des dimensions qui ne sont pas forcément visibles : diversité des pratiques, mobilité des frontières dans les étapes de cycle de vie d'un produit en fonction de la culture, construction identitaire, jeux de pouvoir entre acteurs...

La généralisation n'est pas fondée sur la fréquence comme dans les enquêtes quantitatives mais sur la diversité des "occurences".

lundi 14 février 2011

Caractéristiques du symbole et du symbolisme, Edward Sapir

Tout symbolisme implique des significations qu’on ne peut pas déduire de l’expérience. Il représente une
« concentration d’énergie » : sa signification n’a aucune mesure avec la banalité de sa forme (Sapir évoque ici l’exemple de la fonction décorative de traits de plume dans lesquelles certaines civilisations lisent assassinat ou Dieu). Sapir distingue 2 types de symbolisme :

Le symbolisme de référence qui comprend par exemple, la langue parlée, l’écriture, le code télégraphique, les emblèmes nationaux…

Le symbolisme de « condensation » : forme très ramassée de conduite substitutive qui permet de libérer instantanément une tension affective sous forme consciente ou inconsciente.

Comme nous l’avons vu chez Riveline, pour Sapir, toute culture est largement chargée de symbolisme, tout comportement, même le plus simple, obéissant à des impulsions inconscientes. Les raisons données à posteriori rationalisent un comportement. Même le savant qui développe une théorie complexe et documentée obéit à des besoins inconscients. "Si le savant milite en faveur de ses théories, ce n'est pas qu'il les croit vraies c'est qu'il les voudrait telles".
 La politesse, qui a pour objectif d'oeuvrer en fonction de relations sociales harmonieuses, possède, par ailleurs, une forte valeur symbolique d'appartenance à un milieu social type. Il faut connaître le code pour montrer qu'on appartient à ce groupe fermé. De même, l'éducation est un vaste champs de comportement symbolique : avoir un diplôme correspond à l'acquisition d'un savoir mais ouvre aussi l'accès à une position avantageuse à laquelle un autre diplôme n'ouvre pas.
Enfin Edward Sapir conclut en expliquant qu'un modèle de comportement social perd toute sa valeur si la manière dont il est considéré devient symbolique par habitude, sans plus être relié aux considérations qui lui ont valu cette valeur symbolique initiale. Il donne l'exemple de la présidence d'une commission. Elle perd toute la valeur si l'on ne considère plus qu'une fonction administrative place une personne au-dessus des autres, que la société démocratique est idéale et que ce sont les meilleurs qui obtiennent ce type de poste à responsabilités.

jeudi 10 février 2011

Les limites de la méthode comparative

Rappelez-vous, dans l'un des derniers papiers de ce blog, j'avais consigné les propos de Maurice Godelier qui expliquait que la démarche intellectuelle de comparaison "de sociétés dans l'espace (anthropologie, sociologie) et dans le temps (archéologie, histoire) est au fondement même des sciences sociales". Pour Maurice Godelier, c'est la comparaison qui permet de développer des connaissances qui peuvent être utilisées pour analyser et résoudre des problèmes concrets qui se posent dans une société.

Je voudrais apporter cette fois un éclairage différent à travers la vision de Durkheim, dans "Les formes élémentaires de la vie religieuse", pour qui les "faits sociaux sont fonction du système social dont ils font partie; on ne peut donc les comprendre quand on les en détache." Durkheim précise ainsi que pour lui, des faits sociaux se déroulant dans des sociétés différentes ne peuvent être comparés sur justification qu'ils se ressemblent. Il faut que les sociétés se ressemblent. " La méthode comparative serait impossible s'il n'existait pas de types sociaux, et elle ne peut être utilement appliquée qu'à l'intérieur d'un même type. Que d'erreurs n'a-t-on pas commises pour avoir méconnu ce précepte ! C'est ainsi qu'on a indûment rapproché des faits qui, en dépit de ressemblances extérieures, n'avaient ni le même sens ni la même portée ; la démocratie primitive et celle d'aujourd'hui, le collectivisme des sociétés inférieures et les tendances socialistes actuelles, la monogamie qui est fréquente dans les tribus australiennes et celle que sanctionnent nos codes, etc."

mardi 1 février 2011

La gestion et les rites, Claude Riveline

Dans son article "La gestion et les rites", Claude Riveline démontre comment les actes ritualisés, notamment au sein des entreprises, sont plus efficaces que les idées. Partant de l'hypothèse d'Emile Durkheim dans Les formes élémentaires de la vie religieuse qui stipule qu'un rite nécessite une tribu pour l'observer et un mythe pour lui donner sens, Claude Riveline observe les rites dans le monde des affaires. Il établit une correspondance entre rites/mythes/tribus et méthodes/raison/équipes, transposant les mécanismes des "peuplades primitives et exotiques" au monde moderne. C'est le regard de l'ethnologue introduit dans notre quotidien. Ce qui est étonnant, remarque Claude Riveline, est que le vocabulaire moderne peut évoluer en contre-sens par rapport à celui des "peuplades exotiques" lorsque le triangle ne fonctionne plus : ainsi la tribu devient-elle un clan lorsque la raison s'écroule (elle devient alors un mythe), on taxe de rites des méthodes qui n'auraient plus de sens. Claude Riveline cherche à comprendre comment ce triangle rites/mythes/tribus peut recouvrir dans nos sociétés modernes des "connotations suspectes", à la lumière d'autres domaines de la vie sociale où celui-ci est présent : armée, sports, musique, école, politique...Son analyse nous montre que les rites sont partout et qu'aucun acte n'est dénué de valeur symbolique. Riveline attribue le basculement du triangle mythes/rites/tribus vers quelque chose qu'il qualifie d'inconvenant à la déception que nos sociétés ont subie suite aux espoirs nés du siècle des Lumières : repousser les dogmes au profit de la raison, habiller ceux qui sont nus, nourrir ceux qui ont faim. En lieu et place de quoi, notre société a placé le mythe dans la fabrication des objets (surpassant l'activité humaine), le rite dans l'usage des chiffres, la tribu dans l'humanité entière.

dimanche 30 janvier 2011

3 grandes démarches scientifiques : la déduction, l'induction et la démarche hypothético-déductive

Ce sont les 3 démarches fondamentales de la recherche.
L'induction ou la démarche inductive consiste à induire des énoncés généraux (des vérités) à partir d'expériences particulières, rigoureuses et systématiques. Le chercheur observe la réalité sans idée préconçue en cherchant à tout voir si possible, à tout entendre, tout sentir pour en déduire des concepts, hypothèses, théories, lois... Il s'agit d'une approche empiriste. Fondateurs : Francis Bacon, David Hume.
Selon certains sociologues et anthropologues c'est la théorie la plus ancrée dans la réalité et non dans l'imaginaire du chercheur. Elle conduit à la vérité. D'autres la contestent, comme Karl Popper et les falsificationnistes qui avancent que l'induction ne garantit pas la véracité de ses énoncés généraux car l'observation d'une réalité ne peut être complète. Pour Popper, une démarche est scientifique si elle permet la falsification (la réfutation) d'une hypothèse et non si elle mène à une impossible vérification.
La déduction ou la démarche déductive, représentée par le philosophe René Descartes (1596-1650), se fonde sur la raison plutôt que sur les sens et l'expérience. A partir de ses intuitions (nées de la connaissance), le chercheur déduit d'autres affirmations qui en sont la conséquence. La déducation se fonde sur le raisonnement et s'oppose à l'empirisme comme source de savoir.
La démarche hypothético-déductive est celle la plus couramment utilisée par les chercheurs, c'est la démarche classique de la science moderne. Elle se compose des étapes suivantes :
1. Le chercheur pose la question de départ
2. Il formule des déductions ou des inductions en fonction des connaissances empiriques qu'il possède sur le sujet.
3. Il adopte ou construit une théorie, formule une ou plusieurs hypothèses de recherche (réponse provisoire à la question de recherche)
4. Il procède à des tests empiriques pour vérifier ou infirmer la ou les hypothèses
5. Si la ou les hypothèses sont vérifiées, la recherche s'arrête là, il lui faut communiquer les résultats.
Si la théorie, la ou les hypothèses sont infirmées par les faits, le chercheur peut délaisser sa théorie et son et ses hypothèses en tenant compte des nouveaux faits. Dans un cas comme dans l'autre, la recherche recommence (ou se poursuit) : le chercheur procède à de nouvelles déductions et/ou inductions, et ainsi de suite...jusqu'à ce qu'il découvre la vérité, c'est-à-dire la thorie et l'hypothèse qui correspondent aux faits.

Source : La démarche d'une recherche en sciences sociales François Dépelteau, coll. de boeck, 2000.
Une nouvelle édition est parue en 2010.

mercredi 26 janvier 2011

L'imaginaire et le symbolique dans les rapports sociaux

Pour Maurice Godelier, tout rapport social entre individus, qu'il soit politique, religieux, économique, familial... est soumis à la présence de "noyaux de réalités imaginaires" s'incarnant dans des institutions et des pratiques symboliques. Godelier rattache l'imaginaire à la pensée constituée des représentations que les humains se sont faites et se font de la nature et de l'origine de l'univers, des êtres qui le peuplent ou sont supposés le peupler et d'eux-même pensés dans leurs différences et/ou les différences qu'ils croient percevoir. Dans cet imaginaire, l'"idéel" constitue la  part subjective des rapports sociaux. C'est-à-dire pour Godelier "l'ensemble des représentations, règles de conduite, valeurs, positives ou négatives, attachées par le contenu et la logique d'une culture, aux êtres, aux choses, aux actions, aux événements qui entourent les individus, événements qu'ils subissent ou procèdent d'eux." Une culture n'existe vraiment que si l'idéel dont elle procède est associé à des pratiques sociales et matérielles. Le symbolique est l'ensemble des moyens et des processus par lesquels des réalités idéelles s'incarnent dans des réalités matérielles et des pratiques qui leur confèrent un existence concrète, visible, sociale. Les symboles ne survivent, pour Godelier, que s'ils font sens. C'est pourqoi, contrairement à Claude Lévi-Strauss, il affirme que c'est l'imaginaire partagé qui maintient les symboles en vie (et non les symboles qui priment sur l'imaginaire et le réel).

Source : Au fondement des sociétés humaines, Ce que nous apprend l'anthropologie - Maurice Godelier.

samedi 22 janvier 2011

Enjeux de la sociologie contemporaine

En lien avec ma page consacrée à une possible "explosion" de la sociologie dans les années à venir (comme je le crois...) je vous conseille d'aller faire un tour sur le blog UNE HEURE A PEINE dont l'auteur très en veille publie des billets pertinents, agréables à lire et qui ne manquent pas d'humour (ce qui vous en conviendrez ne gâche rien). J'aime beaucoup son billet "Quand les sciences sociales changent le monde" qui nourrit mon optimisme légendaire...et surtout donne des raisons rationnelles "d'aimer" la sociologie. Sans doute plus efficace que tous les papiers pessimistes constamment publiés sur sa disparition prochaine...A force de l'annoncer ça pourrait bien arriver ?! ...Lire la suite

Méthodologie - Comprendre pour comparer et comparer pour comprendre

Il y a quelque chose que Maurice Godelier explique très bien dans l'introduction à son ouvrage "Au fondement des sociétés humaines - Ce que nous apprend l'anthropologie",  c'est le rôle et le métier d'anthropologue. Si l'on y retrouve quelques-unes des grandes idées, les "classiques", des règles de la méthode sociologique de Durkheim,  son approche contemporaine nous permet de resituer la fonction de l'anthropologue dans le monde d'aujourd'hui. Globalisé, Godelier précise qu'il est reconfiguré par deux mouvements inverses : "un mouvement d'intégration et de mondialisation des activités et des rapports économiques au sein de chaque société et entre elles, et un mouvement de segmentation politique et culturelle qui divise et subdivise, souvent dans la violence, des ensembles politico-économiques préexistants et donne naissance à de nouveaux Etats qui doivent alors se transformer en nations" [...] réinventant leurs traditions locales. Il rappelle que la démarche intellectuelle de comparaison "de sociétés dans l'espace (anthropologie, sociologie) et dans le temps (archéologie, histoire) est au fondement même des sciences sociales". C'est la comparaison qui permet de développer des connaissances qui peuvent être utilisées pour analyser et résoudre des problèmes concrets qui se posent dans une société. Les recherches comparatives permettent, selon Godelier, une déconstruction critique, et une reconstruction plus rigoureuse des thérories en anthropologie et sciences sociales.

mardi 18 janvier 2011

L’imaginaire devient un rapport social quand il se traduit par des pratiques symboliques

Dans « Communauté, société, culture - Trois clefs pour comprendre les identités en conflits », Maurice Godelier démontre que les sociétés ne se constituent pas dans l’histoire à partir des liens de parenté (Lévi-Strauss) – même s’il reconnaît qu’ils sont une composante essentielle de la vie sociale - ou de production (thèse marxiste) mais à travers les rites d’initiation qui imposent un régime de pouvoir, un ordre au sein de la société. Après avoir analysé les rapports sociaux existants au sein de diverses sociétés dont celle des Baruya de Papouasie Nouvelle-Guinée, qu'il étudie de 1966 à 1988, il met en évidence que l'ordre social (ici fondé sur la domination masculine) repose sur les rites qui alimentent les mythes fondateurs, eux-même issus de faits imaginaires. Chez les Baruya, on apprend très tôt aux jeunes garçons que ce sont les femmes qui ont tout d’abord existé. Elles ont inventé de nombreuses choses parmi lesquelles les  arcs et les flèches dont elles ne savent pas bien se servir (elles tuent trop d’animaux…). Les hommes les leur ont confisqués puis interdits, ainsi que leurs flûtes, qui symbolisent leur vagin et que les hommes s'approprient.  A travers les rites d’initiation, les hommes perpétuent les actes visant à priver les femmes de leurs pouvoirs. « On mesure donc le rôle immense de l’imaginaire dans la construction des réalités sociales et des subjectivités qui les vivent et les reproduisent ».

mercredi 12 janvier 2011

Les règles de la méthode sociologique - la méthode des variations concomitantes - Emile Durkheim

Durkheim fonde la méthode des variations concomitantes qui est toujours utilisée en sociologie même si d'importants progrès ont depuis été réalisés dans le domaine des études statistiques.
Cette méthode permet d'obtenir mécaniquement un rapport de causalité entre les faits sociaux sans recourir aux vues de l'esprit (ou presque !)
On cherche à l'aide de la déducation comment l'un des deux faits a pu produire l'autre.
On vérifie l'ypothèse à l'aide d'expériences, c'est-à-dire de comparaisons nouvelles.
Si la déducation est possible et que la vérification réussit, on pourra regarder la preuve comme faite.
Si, au contraire, on s'aperçoit que les faits n'ont pas de lien direct entre eux, on recherche un troisième phénomène dont les 2 autres dépendent et qui ait pu servir d'intermédiaire entre eux.
Dès qu'on a prouvé que dans un certain nombre de cas, deux phénomènes varient l'un comme l'autre, on peut être certain qu'on est devant une loi.

mardi 4 janvier 2011

Les règles de la méthode sociologique - évolution et transformation sociales - Emile Durkheim

Selon Durkheim, l'évolution sociale ne trouve pas son origine dans la constitution psychologique de l'homme. La cause déterminante d'un fait social doit être recherchée parmi les faits sociaux antérieurs. Il remet ici en question l'approche d'Auguste Comte pour qui l'homme est, par instinct,  poussé vers le progrès, ainsi que l'approche d'Herbert Spencer pour qui la recherche du bonheur constitue le moteur de développement d'une société de plus en plus complexe. Théories pour lesquelles leurs auteurs n'apportent aucune preuve de véracité. Dans la même perspective, Durkheim pose pour règle que "la fonction d'un fait social doit toujours être recherchée dans le rapport qu'il soutient avec quelque fin sociale". Ainsi, les faits sociaux ne doivent pas être considérés sous un angle psychologique.
Durkheim examine ensuite les éléments qui constituent le milieu social interne - les choses (objets matériels, droit, moeurs, monuments, produits de l'activité etc.) et les personnes - ne leur reconnaissant pas davantage de puissance motrice dans les transformations sociales même si elles exercent sur elles un certain poids. C'est le mileu humain qui en est le principal facteur actif, à travers le "volume de la société" (nombre d'unités sociales) et sa "densité dynamique" (nombre d'individus qui sont en relations, pas seulement commerciales mais aussi morales). La densité matérielle (développement des voies de communication et de transmission) est en général en phase avec la densité dynamique.
Pour Durkheim, c'est donc le milieu social qui est le facteur déterminant de l'évolution collective.

lundi 3 janvier 2011

Les règles de la méthode sociologique - différencier la psychologie de la sociologie- Emile Durkheim

Durkheim établit un parallèle entre la cellule vivante et les molécules qui la composent d'une part, et entre la société et les individus d'autre part, avançant qu'un "tout n'est pas identique à la somme de ses parties". L'association donne naissance à quelque chose de nouveau qui constitue l'objet d'étude de la sociologie, contrairement à la psychologie centrée sur l'être individuel. La pression qu'il considère comme étant le signe distinctif des faits sociaux, domine l'individu tout en lui étant extérieure. Ainsi, la société est un système formé par l'association d'individus qui possède ses caractères propres. "Le groupe pense, sent, agit tout autrement que ne le feraient ses membres, s'ils étaient isolés". Ainsi les phénomènes de groupe ne peuvent-ils s'expliquer simplement par le psychisme individuel de chacun des membres du groupe. Les caractères généraux de la nature humaine n'expliquent pas les phénomènes sociaux mais les rendent possibles. C'est pourquoi Durkheim considère toutefois qu'une connaissance de la psychologie peut constituer une bonne base pour aller vers la sociologie. Durkheim illustre son propos à la confusion de certains sociologues qui ont considéré que la religion, le mariage ou la famille s'expliquent par des sentiments de religiosité naturelle, de jalousie sexuelle ou de pitié filiale inhérentes à la nature humaine (à son psychisme) alors qu'en fonction des conditions sociales ou d'une société à l'autre, elles varient considérablement dans leur forme, voire n'existent pas. "C'est donc que ses sentiments résultent de l'organisation collective, loin d'en être la base".