mercredi 25 mai 2011

Le processus d'ancrage

La notion d'ancrage concerne l'enracinement social de la représentation. Elle articule les trois fonctions de base de la représentation : fonction cognitive d'intégration de la nouveauté, fonction d'interprétation de la réalité, fonction d'orientation des conduites et des rapports sociaux.

Pour illustrer la manière dont les représentations donnent du sens aux objets, Denise Jodelet utilise l'exemple de la psychanalyse. Les chercheurs qui traitent des représentations utilisent en effet, souvent, des théoriques scientifiques comme objet de recherche, tout comme des théories économiques et politiques qui ont des répercussions sociales immédiates. Ces théories font l'objet, par le public, d'interprétations, de reformulation, d'adaptation en fonction de l'angle selon lesquelles on les aborde (politique, philosophique, religieux...), de sa propre culture et de son propre système de valeur. C'est cela que l'on appelle le phénomène d'ancrage.
Dans le cas de la psychanalyse, par exmple, Jodelet explique que "selon qu'un groupe situera la pratique analytique dans une perspective politique ou scientifique, il aura tendance à lui prêter des utilisateurs différents, par exemple des gens riches dans le premier cas, des intellectuels dans le second."
Le groupe exprime donc sa culture, ses valeurs, son identité à travers la façon dont il investit ses représentations.
L'ancrage, c'est aussi la capacité des représentations non plus seulement à exprimer des rapports sociaux mais à les constituer. Dans le cas de la psychanalyse, la représentation transforme la science en savoir utile pour tous. Ce processus s'inscrit dans la continuité de l'objectivation qui transforme un objet abstrait (la science ici) en objet concret. C'est ainsi que les représentations fournissent des grilles de lecture communes aux membres d'une même société. "Le système d'interprétation a une fonction de médiation entre l'individu et son milieu et entre les membres d'un même groupe". Il fournit des cadres, des repères par lesquels l'ancrage va classer, expliquer. Mais à la base de "toute représentaiton, un substrat représentatif sert de pré-supposé" ce qui signifie que l'on classe par interprétation (intervention du jugement). L'ancrage autorise les conclusions rapides posées d'avance.
Parce qu'une représentation ne "s'incsrit pas sur une table rase", il arrive qu'elle bouscule les autres représentations (exemple du massage fonctionnel qui devient jouissif et change le rapport au corps qui passe d'un objet biologique à un objet de plaisir), les excluent ou les rejoint par fusion.

mardi 24 mai 2011

Limites de l'habitus dans la société "contemporaine"

Cet article fait suite à Bernard Lahire relit la théorie de l'habitus.

Le concept d'habitus apparaît avec Durkheim. Il correspond à ce qu'il a identifié au sein de sociétés restreintes, fermées, qui développent des modes de penser, d'agir et de sentir homogènes (sociétés traditionnelles, exemple de l'internat). Bourdieu s'en est inspiré, comme il s'est inspiré également de l'approche d'Erwin Panofsky qui a mis en évidence l'existence d'une "forme formatrice d'habitudes" tout en spécifiant l'exceptionnalité du contexte historique dans lequel on retrouve ce type de processus. Tandis que Bourdieu l'a généralisé aux classes sociales. Ce que Bernard Lahire remet en question est le fait que Bourdieu ait bâti sa théorie à partir de l'observation d'une société faiblement différenciée (pré-industrielle, précapitaliste), la société traditionnelle des paysans colonisés d'Algérie dans les années 60.

Comment différencie t-on une société "traditionnelle" d'une société "contemporaine" ?

La société traditionnelle :
  • possède une démographie généralement faible
  • forte inter-connaissance
  • chacun peut exercer un contrôle sur autrui
  • la division du travail, la différenciation des fonctions sociales et des sphères d'activités y sont peu avancées
  • il y a stabilité et durabilité des conditions de vie
  • un seul modèle de socialisation

Tandis que la société contemporaine se distingue par :
  • l'étendue de l'espace et l'étendue démographique
  • une forte différenciation des sphères d'activité (économique, politique, juridique, religieuse, morale, scientifique, philosophique...), des institutions, des produits culturels, des modèles de socialisation
  • une moindre stabilité des conditions de vie
Dans nos sociétés contemporaines, les enfants sont confrontés à des modèles contradictoires (famille, école, institutions culturelles ou sportives, groupes de pairs, medias...) qui donnent toutes ses limites au concept de l'habitus puisqu'ils sont soumis à diverses influences et peuvent développer des façons d'être et d'agir différentes en fonction des milieux au sein desquels ils se trouvent. Lahire décrit d'ailleurs le même processus chez l'adulte.

dimanche 22 mai 2011

Le processus d'objectivation

L'objectivation peut se définir comme une "opération imageante et structurante", elle a la propriété de rendre concret l'abstrait, de matérialiser le mot. "Objectiver, c'est résorber un excès de significations en les matérialisant" (Moscovici, 1976). Pour expliquer l'objectivation, Denis Jodelet fait référence à l'exemple de Roqueplo (1974) : nous parlons de poids alors qu'il s'agit de masse parce que la notion de masse est plus difficile à appréhender. Les savoirs scientifiques dont on a du mal à définir les contours sont en quelque sorte simplifiés. "Dans l'ignorance des conventions qui fixent le rapport du langage scientifique au réel, le public prend le concept comme l'indicateur d'un phénomène attesté". Le complexe d'Oedipe ne se rapporte plus, pour le public, à un rapport entre l'enfant et le parent mais à un signe visible, un attribut de la personne. Nous pourrions aussi donner l'exemple de l'appendicite vue comme  une opération chirurgicale alors qu'il s'agit d'une inflammation soudaine ou d'un gonflement de l'appendice.

Je fais une parenthèse : je serais tentée de faire un rapprochement entre processus d'objectivation  et processus rhétoriques utilisés en littérature.  La métonymie, par exemple, consiste à dénommer un concept au moyen d’un terme désignant un autre concept, lequel entretient avec le premier une relation d’équivalence ou de contiguïté (la cause pour l’effet, la partie pour le tout, le contenant pour le contenu, etc.). Une voile symbolisera par exemple un bateau, on dira "je vais boire un verre". Il me semble que l'étude des figures de rhétorique peut être assez pertinente pour accéder aux représentations, comprendre individuellement leur fonctionnement, voire leur origine.

Denise Jodelet explique le processus d'objectivation d'une théorie scientifique en 3 phases : la première consiste en une sélection constructive. L' individu trie les informations en fonction de critères culturels (tout le monde n'a pas le même accès à l'information) et normatifs (on ne retient que ce qui est en phase avec son système de valeurs). Ces informations sont détachées de la théorie scientifique, elles sont appropriées par l'individu qui les projette comme faits de son univers propre pour les maîtriser.
La seconde phase consiste en une shématisation structurante avec la formation d'un "noyau figuratif", structure imageante qui reproduit de manière visible une structure conceptuelle, en phase avec la culture et les normes sociales de l'individu.
La troisième phase est celle de la naturalisation : le modèle figuratif va permettre de concrétiser, en les coordonnant, chacun des éléments qui deviennent des êtres de nature. Le modèle figuratif acquiert un statut d'évidence : "tenu pour acquis, il intègre les éléments de la science dans une réalité de sens commun". Jodelet donne des exemples : "les parties conscientes et inconscientes de l'individu sont en conflit", "les complexés sont agressifs"... (idées reçues). La naturalisation a valeur de généralisation. Elle est présente au sein de la société et observable par exemple, au niveau des relations entre ethnies, groupes sociaux : "une image, un mot, suffisent à figer l'autre dans un statut de nature".

Le modèle de l'objectivation est très intéressant parce qu'il est généralisable : c'est ainsi que fonctionne le processus de vulgarisation scientifique. Mais au-delà, il permet d'apporter une explication d'un point de vue logique/pensée sociale. La shématisation peut être utilisée dans le cadre d'une communication à finalité sociale (voire politique).
Le modèle de reconstruction de la réalité permet de comprendre l'origine des représentations.

lundi 9 mai 2011

Les 5 éléments fondamentaux de la représentation sociale, Denise Jodelet

  • Elle est toujours représentation d'un objet. Celui-ci peut être concret, abstrait, cela peut être une personne ou un groupe. La représentation est toujours la représentation de quelqu'un. Elle est donc tributaire de la position de l'individu dans la société, l'économie, la culture,
  • elle a un caractère imageant et la propriété de rendre interchangeable le sensible et l'idée, le percept et le concept. Le concept se définit comme une représentation mentale générale et abstraite. Le percept désigne l'objet de la perception. Avec son caractère imageant, la représentation permet d'illustrer des notions abstraites, de leur donner forme.
  • elle a un caractère symbolique et signifiant : elle renvoie à autre chose - elle a une face figurative et une face symbolique,
  • elle a un caractère constructif : elle fait apparaître une part d'interprétation chez celui qui livre sa représentation. Pour Abric, " toute réalité est représentée, c'est-à-dire appropriée par l'individu ou le groupe, reconstruite dans son système cognitif, intégrée dans son système de valeurs dépendant de son histoire et du contexte social et idéologique qui l'environne,
  • elle a un caractère autonome et créatif : il s'agit d'une représentation individuelle ou collective qui se construit librement.

Et enfin, elle comporte toujours quelque chose de social.

En savoir + sur le concept de représentation sociale
Article de Marie-Odile Martin Sanchez

mardi 3 mai 2011

Dimension sociale de la représentation, Denise Jodelet

Pour Denise Jodelet, "Le concept de représentation sociale désigne une forme de connaissance spécifique, le savoir de sens commun, dont les contenus manifestent l'opération de processus génératifs et fonctionnels socialement marqués. Plus largement, il désigne une forme de pensée sociale." Il me semble, sauf erreur de compréhension de ma part, que Denise Jodelet aborde et définit le concept de représentation sociale de manière plus politique que ne le font Moscovici ou Abric. Avis bienvenus.

"Les représentations sociales sont des modalités de pensée pratique orientées vers la communication, la compréhension et la maîtrise de l'environnement social, matériel et idéel". On retrouve ici l'approche de Moscovici ou de Denis pour qui les représentations sociales constituent des grilles de lecture permettant aux individus d'échanger à partir d'un système de référence commun. Je suis assez surprise de découvrir, moi qui m'intéresse depuis peu aux travaux des chercheurs en sociologie, leur capacité à formuler les mêmes idées de manière différente, avec l'aplomb de celui qui vient de faire une bonne "trouvaille". Cela dit, l'exemple est mal choisi car Denise Jodelet fait partie des chercheurs les plus contributifs sur le thème des représentations, qu'elle dispose d'une brillante capacité d'analyse, de synthèse et de communication (savoir écrire, se rendre clair et être compris) qui n'est pas donnée à tous.

Denise Jodelet décrit la dimension sociale des représentations. Son approche permet de justifier (c'est un avis personnel) l'intérêt de traiter, dans le cadre d'une étude sociologique, de sujets de recherche à caractère économique pouvant être considérés par la sociologie comme dotés d'un faible (voire nul) intérêt social. Je trouve très stimulant pour ma part, de porter un regard sociologique sur des thèmes liés à l'économie, au marché, au marketing, à la communication ou au management.
"Le social y intervient de plusieurs manières : par le contexte concret où sont situés personnes et groupes ; par la communication qui s'établit entre eux ; par les cadres d'appréhension que fournit leur bagage culturel ; par les codes, valeurs et idéologies liées aux positions ou appartenances sociales spécifiques".