dimanche 22 mai 2011

Le processus d'objectivation

L'objectivation peut se définir comme une "opération imageante et structurante", elle a la propriété de rendre concret l'abstrait, de matérialiser le mot. "Objectiver, c'est résorber un excès de significations en les matérialisant" (Moscovici, 1976). Pour expliquer l'objectivation, Denis Jodelet fait référence à l'exemple de Roqueplo (1974) : nous parlons de poids alors qu'il s'agit de masse parce que la notion de masse est plus difficile à appréhender. Les savoirs scientifiques dont on a du mal à définir les contours sont en quelque sorte simplifiés. "Dans l'ignorance des conventions qui fixent le rapport du langage scientifique au réel, le public prend le concept comme l'indicateur d'un phénomène attesté". Le complexe d'Oedipe ne se rapporte plus, pour le public, à un rapport entre l'enfant et le parent mais à un signe visible, un attribut de la personne. Nous pourrions aussi donner l'exemple de l'appendicite vue comme  une opération chirurgicale alors qu'il s'agit d'une inflammation soudaine ou d'un gonflement de l'appendice.

Je fais une parenthèse : je serais tentée de faire un rapprochement entre processus d'objectivation  et processus rhétoriques utilisés en littérature.  La métonymie, par exemple, consiste à dénommer un concept au moyen d’un terme désignant un autre concept, lequel entretient avec le premier une relation d’équivalence ou de contiguïté (la cause pour l’effet, la partie pour le tout, le contenant pour le contenu, etc.). Une voile symbolisera par exemple un bateau, on dira "je vais boire un verre". Il me semble que l'étude des figures de rhétorique peut être assez pertinente pour accéder aux représentations, comprendre individuellement leur fonctionnement, voire leur origine.

Denise Jodelet explique le processus d'objectivation d'une théorie scientifique en 3 phases : la première consiste en une sélection constructive. L' individu trie les informations en fonction de critères culturels (tout le monde n'a pas le même accès à l'information) et normatifs (on ne retient que ce qui est en phase avec son système de valeurs). Ces informations sont détachées de la théorie scientifique, elles sont appropriées par l'individu qui les projette comme faits de son univers propre pour les maîtriser.
La seconde phase consiste en une shématisation structurante avec la formation d'un "noyau figuratif", structure imageante qui reproduit de manière visible une structure conceptuelle, en phase avec la culture et les normes sociales de l'individu.
La troisième phase est celle de la naturalisation : le modèle figuratif va permettre de concrétiser, en les coordonnant, chacun des éléments qui deviennent des êtres de nature. Le modèle figuratif acquiert un statut d'évidence : "tenu pour acquis, il intègre les éléments de la science dans une réalité de sens commun". Jodelet donne des exemples : "les parties conscientes et inconscientes de l'individu sont en conflit", "les complexés sont agressifs"... (idées reçues). La naturalisation a valeur de généralisation. Elle est présente au sein de la société et observable par exemple, au niveau des relations entre ethnies, groupes sociaux : "une image, un mot, suffisent à figer l'autre dans un statut de nature".

Le modèle de l'objectivation est très intéressant parce qu'il est généralisable : c'est ainsi que fonctionne le processus de vulgarisation scientifique. Mais au-delà, il permet d'apporter une explication d'un point de vue logique/pensée sociale. La shématisation peut être utilisée dans le cadre d'une communication à finalité sociale (voire politique).
Le modèle de reconstruction de la réalité permet de comprendre l'origine des représentations.

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