La sociologie a de l'avenir !

Cette page a pour objet de constituer un argumentaire propre à soutenir une prise de position intuitive quant à la (re)valorisation du rôle des sciences humaines, et en particulier de la sociologie, dans le monde économique. En effet, de nombreux facteurs - l’émergence de valeurs nouvelles dans une société en crise marquée par l’effondrement des marchés financiers (éthique, responsabilité, prise en compte des enjeux sociétaux…) – l’essoufflement du marketing traditionnel face à la complexité et la saturation des marchés – l’urgence à agir et à changer dans un monde menacé, notamment par les risques environnementaux – laissent supposer que les sociologues pourront demain trouver plus largement leur place dans ce monde économique, et par conséquent, dans l’univers de l’enseignement et de la formation.

Enjeux de la sociologie contemporaine

En lien avec ma page consacrée à une possible "explosion" de la sociologie dans les années à venir (comme je le crois...) je vous conseille d'aller faire un tour sur le blog UNE HEURE A PEINE dont l'auteur très en veille publie des billets pertinents, agréables à lire et qui ne manquent pas d'humour (ce qui vous en conviendrez ne gâche rien). J'aime beaucoup son billet "Quand les sciences sociales changent le monde" qui nourrit mon optimisme légendaire...et surtout donne des raisons rationnelles "d'aimer" la sociologie. Sans doute plus efficace que tous les papiers pessimistes constamment publiés sur sa disparition prochaine...A force de l'annoncer, ça pourrait bien arriver ?!
L'idée que je retiendrai du billet Denis Colombi (agrégé de sciences sociales, professeur de sciences économiques et sociales, doctorant en sociologie...et donc blogger patenté) parmi les autres, parce qu'elle met des mots sur ce que je ressens en tant que professionnelle, travaillant en entreprise, découvrant la sociologie que récemment mais y croyant très fort, est la suivante :
"Les sciences sociales sont capables de véritablement "changer le monde" - ou, au moins, la société - à partir du moment où elles sont rappropriées par d'autres acteurs que les scientifiques [...] Lorsqu'elles sont guidées par des considérations trop politiques, orientées vers les "problèmes sociaux" que les agendas politiques et médiatiques définissent, elles contribuent à "invisibiliser" certains phénomènes ou à en survaloriser d'autres. C'est en laissant les chercheurs labourer le plus grand champ possible, sans exclusive a priori, que l'on a le plus de chances de les voir découvrir quelque chose de véritablement utile. Cela implique également que l'on ne limite pas non plus par avance les réponses possibles. Comme le disait Weber, la science doit d'abord nous apprendre à accepter des réponses qui nous déplaisent." Je suis d'accord à 200%. Je pense que la sociologie a beaucoup à apporter à l'entreprise et à ses pratiques qui tournent un peu en rond : marketing, communication, management. Je ne désespère pas de la voir enseignée de façon sérieuse et approfondie dans les écoles de commerce, de gestion et de management.

"L'anthropologie est plus que jamais nécessaire pour mieux comprendre le monde globalisé dans lequel nous vivons et continuerons à vivre. Ce n'est pas la biologie moléculaire ni les nanotechnologies qui vont nous apprendre ce que signifie être chiite ou sunnite ou Pachtoun, ou nous expliquer l'histoire de l'expansion coloniale de l'Occident". Maurice Godelier

Une étude de la FNEGE prévoit la revalorisation des sciences humaines dans l'enseignement supérieur français.

L’Institut de l’entreprise, le Cercle de l’Entreprise et du management et la FNEGE ont publié en juin 2010 un rapport sur les pratiques de formation des cadres et dirigeants des business schools françaises, alors qu’elles font l’objet de vives attaques. En effet, elles auraient formé, selon leurs détracteurs , les responsables de la crise, intellectuellement formatés, dépourvus d’esprit critique et de conscience éthique, rendus incapables de mesurer les menaces pesant sur l’économie mondiale.

Le rapport indique que la formation dispensée aux étudiants devra solliciter davantage de rigueur, d’autonomie et de sens des responsabilité, que la fonction de manager nécessite aujourd’hui plus de souplesse d’adaptation, de sens des repères, d’un « mélange subtil d’obéissance et d’esprit critique », d’écoute et de dialogue, ainsi « qu’une conscience claire de son impact sur la collectivité, de ses responsabilités et de ses devoirs ».

De ce constat découle 5 orientations de réforme pour les enseignements théoriques :

Renforcer la transversalité des enseignements pour décloisonner les compétences et proposer aux étudiants des situations d’évaluation qui mettent en jeu leur habileté à transcender le cadre disciplinaire (sujets sans préparation, improvisation, sujets de synthèse, etc.)

Promouvoir la culture générale dans les enseignements afin de donner aux cadres les clés de compréhension de leur environnement social, économique, géographique, culturel etc.. Le rapport insiste sur le rôle de l’enseignement des sciences humaines.

Favoriser l’esprit critique : « pratique autonome, rigoureuse et éclairée du jugement ».

Repenser la formation des managers en matière de communication : habileté à construire une argumentation, à l’exposer en respectant les critères formels usuels, à s’adresser à un auditoire, à écouter ses interlocuteurs

Repenser les enseignements relevant des « soft skills » : les compétences relationnelles qui permettent d’organiser, d’entreprendre, de respecter l’altérité, de s’intégrer dans la collectivité.

Le groupe de travail reconnaît que le sens des responsabilités, la conscience éthique n’a pas été au centre des préoccupations des business schools et préconise à la fois de distinguer éthique et déontologie propre au métier, et d’inclure l’éthique dans l’ensemble des enseignements.

« Investir le champs intellectuel » sont les mots utilisés par le groupe de travail, constitué à la fois d’entreprises et de directeurs de grandes écoles qui n’hésitent pas à parler de « grande réforme » dans les écoles de gestion et de management. Ce qui suppose, selon eux, de nouveaux recrutements dans l’avenir, notamment dans les domaines qui nous intéressent : sociologie des organisations, du travail, de la consommation, des medias mais aussi dans le domaine de la communication.

Extraits choisis :

« Ainsi, si les sciences humaines doivent trouver une place accrue dans la formation initiale des managers, c’est parce qu’elles apportent une double contribution à la formation du manager .

• En tant qu’humanités, elles infusent dans les étudiants la culture, les intérêts, les goûts, qui leur permettront de se sentir à leur place dans le milieu professionnel et de pouvoir y créer rapidement des relations de haute qualité.
• En tant que sciences, elles impriment dans l’esprit des étudiants des modes d’analyse, des schèmes de lecture des situations différents de ceux que les sciences ou les sciences de gestion peuvent procurer, et contribuent à l’éducation du jugement."
"Cette culture générale permet donc aux étudiants de mieux appréhender l’entreprise en tant qu’organisation économique ainsi qu’en tant qu’acteur de la société et de mieux s’y intégrer. "

"Les attentes et les critiques que l’entreprise suscite, notamment sur le plan de la responsabilité sociale et du développement durable, pourraient, analysées en fonction du contexte dans lequel elles apparaissent et replacées dans une perspective historique et sociologique, contribuer de manière constructive à une meilleure compréhension mutuelle entre jeunes diplômés et entreprises. »

"Les champs susceptibles d’être couverts sont nombreux: l’histoire (et en particulier l’histoire économique et sociale) ; la sociologie (et en particulier sociologie du travail, sociologie des organisations, sociologie des consommateurs et sociologie des médias) ; la géographie économique et culturelle, l’anthropologie, (connaissance des spécificités des grandes aires culturelles), la philosophie."

"Le groupe de travail recommande la mise en place systématique de tels enseignements appliqués aux différentes filières. Ils permettront à la fois d’identifier les gisements de valeur potentiels, d’appréhender les risques et de mettre en lumière la diversité des logiques à l’oeuvre au sein d’un secteur donné. "

"Ces définitions des valeurs d’entreprise, de la morale professionnelle, difficiles à cerner, délicates à thématiser, doivent faire l’objet d’un traitement théorique spécifique au sein des business schools, afin que le futur manager soit préparé à la prise en compte d’une déontologie, qu’il se représente ce qu’impliquent des valeurs d’entreprise, quelle est leur place au sein d’un système moral plus vaste, quel régime prescriptif est le leur."

"Cette réforme entraîne nécessairement une adaptation rapide de la part du corps professoral. Les conséquences de la crise sont à la fois trop graves et trop manifestes pour qu’il ne souhaite pas changer ses pratiques. Toutefois, la tentation est grande d’écarter ou de remettre à plus tard les réformes les plus significatives. L’application des recommandations portant sur les sciences humaines donnera lieu à de nouveaux recrutements, selon de nouveaux profils; l’intensification de la transversalité des enseignements impliquera une recomposition des départements, des laboratoires, des méthodes pédagogiques; la perte de crédit de la méthode des cas requerra l’invention de nouveaux modes de transmission de l’esprit d’analyse. Les bouleversements les plus importants ne font que commencer."

Pour accéder au rapport complet :
http://www.fnege.net/news-FR-1-12


« Notre champ d’action n’est plus le marché mais la société avec toutes les conséquences que cela comporte »

Dans une interview Bernard Cova, professeur à l'ESCP Europe, explique que le marketing mise aujourd’hui davantage sur la relation client à long terme, introduit l’idée de valeur et ajoute une notion de rentabilité pour l’entreprise. Mais il déplore que les notions d’expérience, de communauté, de compétences, de rites etc, qui sont les « mots d’ordre de nombreuses entreprises et surtout de nombreux consommateurs de par le monde », ne soient pas encore assez prises en compte. Selon lui, le capitalisme n’a d’autre choix pour se régénérer que de « puiser à l’extérieur de la sphère marchande ce que l’on peut appeler des gisements d’authenticité dans la société ». A la question « pouvons-nous toujours parler de marketing quand l’action recherchée se déroule dans la société et non seulement dans le marché », il répond pas le terme de « societing » qu’il a proposé il y a une quinzaine d’années avec Olivier Badot et Ampelio Bucci. Ce terme est entendu par ‘mise en société’, pour les marketeurs et ‘faire société’, pour les sociologues. « Dans une démarche de societing, l’entreprise n’est pas un simple acteur économique qui s’adapte au marché, mais un acteur social enchâssé dans le contexte sociétal. Il s’agit donc pour l’entreprise, selon Francesco Morace, tout à la fois de « mettre en marché » et « de mettre en société » un produit, un service, une marque, une expérience... On passe ainsi de la transaction à la relation, du produit au service, du produit/service à l’expérience, du produit/service à la solution, de la création à la co-création, de l’individu à la ‘tribu’, du marché au réseau, du client au stakeholder… »