vendredi 22 avril 2011

Bernard Lahire relit la théorie de l'habitus

Souvenez-vous de ce billet sur la question du goût vue par Pierre Bourdieu...Nous allons maintenant présenter l'analyse de Bernard Lahire et sa relecture de la théorie de l'habitus. Sans remettre en cause l’existence des classes sociales comme cela lui a parfois été reproché, Bernard Lahire démontre, à partir de l'analyse d'une centaine d'entretiens, que l’individu se définit, non pas à partir d'un héritage culturel unique (et cloisonné) lié à son appartenance à une classe sociale, mais à partir de plusieurs héritages acquis au contact de multiples institutions et individus, comme la famille, l'école, les amis, l'univers professionnel etc. Pour Bernard Lahire, la question du goût et des pratiques culturelles est bien plus complexe qu’elle n’apparaît dans l’analyse de Pierre Bourdieu. En opposition avec une approche de déterministe, Lahire développe une sociologie qui tient compte des dispositions et des contextes pour mettre au jour des variations ; une sociologie qui se situe à l’échelle de l’individu, qui met en évidence la multiplicité et la complexité des interactions entrant dans le jeu de la socialisation des acteurs.


Entretien avec Bernard Lahire, sociologue par laviedesidees



Il explique que la plupart d’entre eux connaissent au cours de leur vie de légers (ou plus prononcés) « déplacements » dans leur manière d’être, de penser et d’agir en fonction des expériences qu’ils vivent et qu’ils intériorisent, « plient » et « déplient » au grès des situations rencontrées. Pour Bernard Lahire, Bourdieu n’a pas effectué le travail de terrain nécessaire, ce qui l’a conduit à caricaturer les différences entre classes sociales. Lahire reconnaît volontiers l’existence d’un habitus culturel mais le place de façon exclusive aux deux extrémités de la hiérarchie sociale : la classe la plus élevée cherche à sociabiliser ses enfants dans l’objectif de pérenniser leur appartenance sociale en organisant le suivi de leur vie scolaire, en veillant à leur proposer des activités extra-scolaires en phase avec leur positionnement social, en surveillant leurs fréquentations… Tandis que la classe la moins élevée, du fait d’une certaine misère sociale et culturelle, reproduit les mêmes schémas d’une génération à l’autre. Pour lui, le concept d’habitus ne concerne qu’une petite partie de la population. La grande majorité, issue de la classe moyenne, peut tout à la fois aller à l’opéra et suivre une série de télé-réalité, s’inscrivant dans ce qu’il nomme un contexte de « dissonance sociale ». Les individus oscillent entre recherche de légitimité et « laisser aller » qu’ils considèrent avec un certain sentiment de culpabilité. Alors que pour Bourdieu, la distinction agit dans la recherche d’imposition des goûts et des modèles de la classe la plus élevée, Lahire la resitue au niveau de l’individu. Ce dernier a intériorisé la hiérarchie des pratiques culturelles et recherche à se distinguer (« distinction de soi ») par rapport à son entourage, amis, famille, voisins. Pour Lahire, le moteur de la distinction est la peur de chuter, de régresser dans la hiérarchie sociale.

samedi 16 avril 2011

« Nouvelles orientations en sociologie de la consommation »

"La sociologie de la consommation remonte aux origines mêmes de la discipline, mais elle a tardé à être institutionnalisée. Cet article passe en revue les travaux précurseurs et les orientations théoriques actuelles en sociologie de la consommation et il analyse les voies nouvelles et les perspectives de recherches en émergence. L’innovation technique et l’innovation sociale, l’avènement d’une nouvelle culture matérielle, un nouvel imaginaire social, le lien entre stratification sociale et consommation, et la question de la convergence des comportements sont examinés. Le phénomène de la consommation est expliqué comme résultant d’une combinaison de l’utilité, de la distinction et de la recherche du plaisir et de la satisfaction. Moins étudié que les autres, ce dernier aspect a pris plus d’importance, mais une théorie sociologique plus achevée de la consommation reste à développer."
« Nouvelles orientations en sociologie de la consommation »

Simon Langlois - L'Année sociologique 1/2002 (Vol. 52), p. 83-103.

jeudi 14 avril 2011

Qu'est-ce que la psychologie sociale ?

Nous avons évoqué dans le dernier billet le concept de représentation pour lequel Serge Moscovici, père de la psychologie sociale, avait été l'un des chercheurs les plus contributifs. Dans l'ouvrage Psychologie sociale qu'il a dirigé, Pierre Moscovici introduit la psychologie sociale comme la "science du conflit entre l'individu et la société" : résistance aux pressions conformistes, opposition au leader et au groupe, déviations, prises de décisions au sein d'un groupe, captation d'un individu par la masse. On mesure encore ici tout l'intérêt d'étudier ces mécanismes complexes pour nos jeunes étudiants (rappelez-vous, je prône l'enseignement des sciences sociales dans les filières qui forment nos futurs cadres et managers).

Objets centraux de la psychologie sociale : l'idéologie d'une part, qui couvre les systèmes d'attitude et de représentation ; la commmunication d'autre part - échanges de messages linguistiques et non linguistiques (moyens utiles pour transmettre une information et influencer autrui) qui incluent les moyens de communication de masse d'influence collective (publicité, propagande) et les processus linguistiques mais aussi les faits sémantiques (sémiologie). Pour résumer, la psychologie sociale analyse les faits qui sont à la fois psychologiques et sociaux : communication de masse, langage, influences, images, signes et représentations sociales.

Le regard psychosocial a ceci de particulier qu'il observe davantage qu'il n'écoute (par rapport à la sociologie ou la psychologie). Une observation qui se pratique souvent derrière un miroir sans tain, objet emblématique du psycho-sociologue tel que décrit par Moscovici. Son rôle est d'explorer le côté subjectif de ce qui se passe dans la réalité objective.
La psycho-sociologie considère la relation qui existe entre l'objet social, l'ego (le sujet) et l'alter (le sujet social) à la différence de la psychologie axée sur la relation objet/sujet et la sociologie axée sur la relation objet/collectivité.


On trouve 3 types de théories en psychologie sociale :
  • théories paradigmatiques dont le rôle essentiel est de proposer une vision globale des relations et des comportements humains
  • théories phénomènologiques qui visent à expliquer les phénomènes tels que l'influence, en répondant aux questions "pourquoi" et "comment" ?
  • théories opératoires qui tendent à dégager un mécanimse élémentaire ignoré jusque-là et qui expliquent un ensemble de faits. Par exemple, la théorie de la dissonance cognitive.
Le psycho-sociologue utilise en général deux méthodes de recherche : l'observation systématique sur le terrain (prise de notes, enregistrements sonores, vidéo...) qui comprend la réalisation des enquêtes et sondages ; la méthode expérimentale en laboratoire qui met en scène des situations et des phénomènes pour les étudier.

mardi 12 avril 2011

Le concept de représentation

Le mot représentation se compose en deux parties
La première « re » indique une répétition qui peut être, selon le dictionnaire, une simple répétition, une répétition avec changement ou la reprise de l’action avec progression (Robert méthodique 1987). La deuxième partie du mot : « présentation » peut être comprise comme un moyen de connaître par désignation. La représentation est donc l'action qui reconstruit l’image d’un objet, préalablement désigné.

La représentation sociale a fait l'objet de très nombreuses études depuis Durkheim qui l'appréhendait tant au niveau individuel que collectif. Mais c'est Serge Moscovici, père fondateur de la psychologie sociale, qui a remis le concept de représentation sociale sur le devant de la scène dans les années 80.
Considérées comme des grilles de lectures et des guides d'action pour l'individu par Michel Denis « Les représentations sont un produit de l’esprit humain qui recrée en lui une image complexe de son environnement afin de mieux penser et agir sur celui-ci. »

Comment cela se produit-il  concrètement ?
L'individu subit tout d'abord l'effet d'une perception, étape intermédiaire entre l’objet et sa représentation, définie ainsi par Madeleine Grawitz en 1994 : « fonction par laquelle notre esprit se forme une représentation des objets extérieurs ». Notons que cette perception est rendue possible par nos sens : le toucher, l'ouïe, la vue, le goût.
L’objet est alors imaginé et associé à une idée connexe, puis il est classé. La classification est rendue possible parce qu’il y a eu auparavant association image/idée. Cela permet de mettre en rapport plusieurs objets et symboles. La classification d’objets opérée par la représentation agit à la fois comme système de référence et comme système d’ordination.
Les représentations fournissent donc un cadre de référence à l’individu qui lui permet de s’orienter dans le groupe et dans son environnement.

Pour Serge Moscovici les représentations ont des « spécificités individuelles mais également un noyau partagé par la plupart des esprits humains »
D’une part, parce qu’ils participent à la même culture, d’autre part parce que les représentations portent sur des phénomènes sociaux, qu’elles sont « issues et héritées de la société ». Serge Moscovici s’intéresse aux représentations sociales en tant qu’interactions entre individus et/ou groupes étudiés dans leur dynamique, leur élaboration, leurs évolutions.

La notion de noyau est reprise et développée par Jean-Claude Abric
Toute représentation sociale est constituée d’éléments « périphériques » organisés autour d’un petit nombre « d’éléments centraux » qui expriment les significations que les individus du groupe assignent collectivement à une représentation. C’est la partie « dure » de la représentation, la partie la plus consensuelle de la représentation. Prenons l'exemple d'un objet : une Ferrari.
Le noyau central des représentations relatives à une Ferrari est constitué par :
  • la nature de l'objet représenté (on est tous d'accord pour dire que c'est une voiture)
  • la relation de cet objet avec le sujet ou le groupe (on est tous d'accord pour dire qu'elle sert à se déplacer)
  • le système de valeurs et de normes (on est tous d'accord pour dire que c'est une voiture de luxe)

Les éléments périphériques expriment des points de vue individuels tout en respectant une logique à tout le groupe car ces dernières sont interprétées à partir du noyau central.
Dans l'exemple de la Ferrari, nous pourrons par exemple trouver "l'esthétique" valeur relative en fonction du goût des uns et des autres, la "chèreté" valeur relative en fonction des moyens financiers de chacun et du prix que l'on est prêt à mettre pour obtenir cette voiture.