jeudi 24 février 2011

Les méthodes qualitatives

"Les méthodes qualitatives" de Sophie Alami, Dominique Desjeux et Isabelle Garabuau-Moussaoui, collection Que sais-je chez Puf, donnent un aperçu très concret du métier de chargé d'études. L'ouvrage s'appuie sur l'expérience des auteurs pour expliquer comment se construisent les enquêtes qualitatives en présentant les principales méthodes utilisées : élaboration des outils de collecte de données, recueil des informations, transcription, analyse, restitution des résultats. Il apporte aussi un éclairage sur le fonctionnement d'un cabinet d'études, avec tout ce que cela implique en termes de prospection clients, contraintes de marchés, rédaction de proposition de recherche, signature de contrats, recrutement d'un panel...

Voici quelques-unes des idées générales que nous retiendrons de cet ouvrage sur les méthodes qualitatives :

Tandis que les méthodes quantitatives utilisent une échelle d'observation macro-sociale, les méthodes qualitatives adoptent d'autres échelles d'observation, essentiellement meso-sociale (celle des organisations, institutions, filières socio-économiques...), micro-sociale (acteurs en interaction), micro-individuelle (pour appréhender, par exemple, les critères de prise de décision ). Voir article Dominique Desjeux sur les échelles d'observation.

La démarche de recherche n'est plus hypothético-déductive mais inductive. "Elle analyse les mécanismes sous-jacents aux comportements et l'interprétation que les acteurs font de leurs propres comportements". Voir article sur les 3 grandes démarches scientifiques.
Il s'agit d'une démarche compréhensive : on ne part pas d'hypothèses fermées à valider ou infirmer mais de questions larges à inverstiguer en tenant compte de l'émergence de nouvelles idées. Même s'il est utile en amont de  réaliser un état des recherches réalisées sur le même sujet, qui permettra de repérer des thématiques peu investies susceptibles de déboucher sur des innovations en termes de résultats.

Les méthodes qualitatives mettent l'accent sur les effets de situation plus que d'apparteannce sociale qui relève des méthodes quantitatives, les interactions sociales sous contraintes, la place de l'imaginaire, le jeu des acteurs avec les normes sociales. Elles sont utilisées pour étudier des phénomènes sociaux émergents, en créativité dans un processus entrepreneurial d'innovation, pour résoudre des problèmes, illustrer des enquêtes quantitatives ou les préparer.

Elles permettent de faire apparaître des dimensions qui ne sont pas forcément visibles : diversité des pratiques, mobilité des frontières dans les étapes de cycle de vie d'un produit en fonction de la culture, construction identitaire, jeux de pouvoir entre acteurs...

La généralisation n'est pas fondée sur la fréquence comme dans les enquêtes quantitatives mais sur la diversité des "occurences".

lundi 14 février 2011

Caractéristiques du symbole et du symbolisme, Edward Sapir

Tout symbolisme implique des significations qu’on ne peut pas déduire de l’expérience. Il représente une
« concentration d’énergie » : sa signification n’a aucune mesure avec la banalité de sa forme (Sapir évoque ici l’exemple de la fonction décorative de traits de plume dans lesquelles certaines civilisations lisent assassinat ou Dieu). Sapir distingue 2 types de symbolisme :

Le symbolisme de référence qui comprend par exemple, la langue parlée, l’écriture, le code télégraphique, les emblèmes nationaux…

Le symbolisme de « condensation » : forme très ramassée de conduite substitutive qui permet de libérer instantanément une tension affective sous forme consciente ou inconsciente.

Comme nous l’avons vu chez Riveline, pour Sapir, toute culture est largement chargée de symbolisme, tout comportement, même le plus simple, obéissant à des impulsions inconscientes. Les raisons données à posteriori rationalisent un comportement. Même le savant qui développe une théorie complexe et documentée obéit à des besoins inconscients. "Si le savant milite en faveur de ses théories, ce n'est pas qu'il les croit vraies c'est qu'il les voudrait telles".
 La politesse, qui a pour objectif d'oeuvrer en fonction de relations sociales harmonieuses, possède, par ailleurs, une forte valeur symbolique d'appartenance à un milieu social type. Il faut connaître le code pour montrer qu'on appartient à ce groupe fermé. De même, l'éducation est un vaste champs de comportement symbolique : avoir un diplôme correspond à l'acquisition d'un savoir mais ouvre aussi l'accès à une position avantageuse à laquelle un autre diplôme n'ouvre pas.
Enfin Edward Sapir conclut en expliquant qu'un modèle de comportement social perd toute sa valeur si la manière dont il est considéré devient symbolique par habitude, sans plus être relié aux considérations qui lui ont valu cette valeur symbolique initiale. Il donne l'exemple de la présidence d'une commission. Elle perd toute la valeur si l'on ne considère plus qu'une fonction administrative place une personne au-dessus des autres, que la société démocratique est idéale et que ce sont les meilleurs qui obtiennent ce type de poste à responsabilités.

jeudi 10 février 2011

Les limites de la méthode comparative

Rappelez-vous, dans l'un des derniers papiers de ce blog, j'avais consigné les propos de Maurice Godelier qui expliquait que la démarche intellectuelle de comparaison "de sociétés dans l'espace (anthropologie, sociologie) et dans le temps (archéologie, histoire) est au fondement même des sciences sociales". Pour Maurice Godelier, c'est la comparaison qui permet de développer des connaissances qui peuvent être utilisées pour analyser et résoudre des problèmes concrets qui se posent dans une société.

Je voudrais apporter cette fois un éclairage différent à travers la vision de Durkheim, dans "Les formes élémentaires de la vie religieuse", pour qui les "faits sociaux sont fonction du système social dont ils font partie; on ne peut donc les comprendre quand on les en détache." Durkheim précise ainsi que pour lui, des faits sociaux se déroulant dans des sociétés différentes ne peuvent être comparés sur justification qu'ils se ressemblent. Il faut que les sociétés se ressemblent. " La méthode comparative serait impossible s'il n'existait pas de types sociaux, et elle ne peut être utilement appliquée qu'à l'intérieur d'un même type. Que d'erreurs n'a-t-on pas commises pour avoir méconnu ce précepte ! C'est ainsi qu'on a indûment rapproché des faits qui, en dépit de ressemblances extérieures, n'avaient ni le même sens ni la même portée ; la démocratie primitive et celle d'aujourd'hui, le collectivisme des sociétés inférieures et les tendances socialistes actuelles, la monogamie qui est fréquente dans les tribus australiennes et celle que sanctionnent nos codes, etc."

mardi 1 février 2011

La gestion et les rites, Claude Riveline

Dans son article "La gestion et les rites", Claude Riveline démontre comment les actes ritualisés, notamment au sein des entreprises, sont plus efficaces que les idées. Partant de l'hypothèse d'Emile Durkheim dans Les formes élémentaires de la vie religieuse qui stipule qu'un rite nécessite une tribu pour l'observer et un mythe pour lui donner sens, Claude Riveline observe les rites dans le monde des affaires. Il établit une correspondance entre rites/mythes/tribus et méthodes/raison/équipes, transposant les mécanismes des "peuplades primitives et exotiques" au monde moderne. C'est le regard de l'ethnologue introduit dans notre quotidien. Ce qui est étonnant, remarque Claude Riveline, est que le vocabulaire moderne peut évoluer en contre-sens par rapport à celui des "peuplades exotiques" lorsque le triangle ne fonctionne plus : ainsi la tribu devient-elle un clan lorsque la raison s'écroule (elle devient alors un mythe), on taxe de rites des méthodes qui n'auraient plus de sens. Claude Riveline cherche à comprendre comment ce triangle rites/mythes/tribus peut recouvrir dans nos sociétés modernes des "connotations suspectes", à la lumière d'autres domaines de la vie sociale où celui-ci est présent : armée, sports, musique, école, politique...Son analyse nous montre que les rites sont partout et qu'aucun acte n'est dénué de valeur symbolique. Riveline attribue le basculement du triangle mythes/rites/tribus vers quelque chose qu'il qualifie d'inconvenant à la déception que nos sociétés ont subie suite aux espoirs nés du siècle des Lumières : repousser les dogmes au profit de la raison, habiller ceux qui sont nus, nourrir ceux qui ont faim. En lieu et place de quoi, notre société a placé le mythe dans la fabrication des objets (surpassant l'activité humaine), le rite dans l'usage des chiffres, la tribu dans l'humanité entière.