Dominique Pasquier, Directrice de recherche au CNRS, interroge le rapport que les lycéens entretiennent à la culture dans un contexte de profond changement, marqué principalement par le recul de la transmission culturelle entre générations et l’avènement des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Etayant son propos à partir d’une enquête empirique réalisée auprès de lycéens issus de classes sociales différentes (favorisée, moyenne et populaire), l’auteur montre l’impact de ces changements sur les contenus des cultures juvéniles et leur diffusion, ainsi que sur la socialisation des jeunes et l’organisation de leurs réseaux sociaux. L’un des points saillants de sa recherche est l’homogénéisation des pratiques culturelles entre classes sociales tandis que les clivages sexuels se renforcent.
L’ouvrage s’organise en trois parties. Dans la première partie, Dominique Pasquier présente le contexte social de sa recherche comme terrain propice au développement de l’individualisation et de l’autonomisation des pratiques culturelles des jeunes. Elle montre que ces pratiques génèrent différents types de liens sociaux (considération de l’autre, relation amicale, rejet) et participent à imposer, de ce fait, une culture de masse à laquelle les jeunes ne peuvent se soustraire au risque de se voir exclure du groupe majoritaire.
La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à la manière dont se structurent les réseaux sociaux des jeunes à partir de pratiques culturelles et de goûts partagés. Ces derniers sont appréhendés comme attributs de construction et d’affirmation identitaire. L’auteur les passe en revue ainsi que leurs conditions d’affichage (assumés ou cachés) au sein du groupe.
Dans la troisième partie, elle s’intéresse à la façon dont s’organisent les réseaux sociaux juvéniles au regard des modes de communication dont les lycéens disposent. Quels usages font-ils du courrier, de l’e-mail, du SMS… en fonction des situations auxquelles ils sont confrontés et des personnes auxquelles ils s’adressent ?
Problématique
Affranchis de l’autorité des adultes, dotés de nouveaux moyens d’information et de communication qui leur donnent un accès élargi à la culture, les jeunes n’ont jamais été aussi libres et autonomes dans leurs pratiques culturelles. Pourtant, on observe que la contrainte normative, qui s’exerçait auparavant au sein de la famille, s’est déplacée sur le terrain de l’école, via le groupe de pairs, de manière « tyrannique » (pour reprendre l’expression de Hannah Arendt dans son ouvrage La crise de la culture, 1986). Les pairs imposent une culture de masse qui dicte une nouvelle hiérarchie des goûts, exclut la culture classique et rejette la différence. Comment peut-on expliquer ce phénomène ? C’est ce que l’auteur va chercher à comprendre en observant le processus d’acquisition et de diffusion de la culture à travers l’utilisation d’internet et du téléphone portable, devenus les outils emblématiques de cet espace social remodelé.
Hypothèses
Les pratiques culturelles « phares » des jeunes sont celles qui privilégient la communication et le lien social.
Les « cultures juvéniles se nourrissent de dynamiques sociales. Les pratiques ont en point de mire les échanges et les interactions qu’elles permettent d’avoir avec l’entourage » (page 56). Pour Dominique Pasquier, seules les pratiques culturelles permettant les échanges verbaux immédiats, à partir d’activités partagées par tous, au même moment, remportent du succès auprès des jeunes. Dans cette perspective, la lecture classique, par exemple, ne constitue pas un bon support de sociabilité contrairement aux séries télévisées, émissions de télé-réalité…dont on peut parler le lendemain de la diffusion.Les échanges verbaux viennent ici valider le lien social à travers un même vécu, plutôt qu’enrichir la conversation. Une sélection des thématiques jugées dignes d’intérêt est alors réalisée au bénéfice du plus grand nombre, repoussant les goûts hors normes et tout ce qui n’offre pas un accès immédiat (culture humanisme classique par exemple).
La mixité à l’école a renforcé le besoin des garçons d’affirmer leur virilité et ainsi de se distinguer du groupe des filles, devenant un moteur d’exclusion.
Autre facteur d’exclusion, sexuel cette fois-ci : les pratiques culturelles des garçons (jeux vidéo, ordinateur) sont jugées supérieures par le groupe à celles des filles qui valorisent les sentiments, la « culture de la confidence », la culture « commerciale » possibles avec la télévision ou le téléphone. Internet a accentué le phénomène de cette hiérarchisation des goûts, les interfaces techniques relevant davantage de la masculinité, comme les sciences et les mathématiques à l’école. Les garçons se positionnent ainsi à la pointe de la modernité quand les filles continuent à privilégier d’anciens modes de communication.Du fait de la mixité généralisée à l’école, les garçons auraient davantage besoin d’affirmer leurs valeurs de virilité, excluant les filles mais aussi leurs homologues faisant preuve d’une trop grande sensibilité en public. Ce sont dans les milieux défavorisés que ces faits sont le plus distinctement observés tandis que dans les milieux bourgeois, où le rôle de transmission culturelle des parents, quoi qu’amoindri, fonctionne encore, les hommes se distinguent toujours par des manières plus raffinées, proches du mode de fonctionnement féminin, axé sur l’écoute et le dialogue.
Enquête/méthodologie
L’enquête se déroule en 2001-2002 dans 3 lycées généraux et technologiques de Paris et grande banlieue. Le lycée parisien recrute des élèves issus de « milieux extrêmement privilégiés ». Un des lycées de banlieue accueille des jeunes issus de milieux défavorisés et de la classe moyenne, tandis que le troisième accueille des jeunes très diversifiés. Un questionnaire quantitatif court sur les pratiques culturelles et de communication des jeunes est diffusé auprès de 944 élèves répartis également dans les 3 lycées, tous niveaux et filières confondus. 65 entretiens semi-directifs sont réalisés auprès de 20 lycéens de l’établissement parisien et de 45 lycéens des établissements de banlieue.L’objectif de l’enquête est d’observer comment certaines pratiques plutôt que d’autres peuvent participer à créer des liens sociaux et amicaux entre les jeunes ou au contraire provoquer l’exclusion. L’auteur s’intéresse en particulier aux pratiques « ordinaires » du quotidien (partagées par le plus grand nombre) et aux « phénomènes de stylisation » (exprimer sa personnalité à travers ses choix culturels en les affichant).
Résultats
La culture obéit désormais à un processus de transmission horizontale
« La cartographie des cultures communes s’élabore aujourd’hui moins sur la base d’un découpage par l’origine sociale que par l’âge ou le sexe ». Page 162.D’un processus vertical qui partait d’une part, des parents et de l’école, vers la génération suivante, et d’autre part, de l’élite sociale vers les classes défavorisées, la culture obéit désormais à un processus de transmission horizontale entre pairs, via les nouveaux outils d’information et de communication. Le pouvoir a changé de mains. Ce ne sont plus les parents qui imposent leur culture aux enfants et la classe dirigeante qui dicte normes et modèles, comme l’affirmait Bourdieu en son temps, mais la majorité relayée par les medias.
La culture populaire devient un modèle avant-gardiste
« Les jeunes préfèrent se tourner vers des cultures qui mettent en scène un style de vie. Ainsi, la musique rap remporte du succès parce qu’elle fournit une déclinaison d’objets, de styles, de loisirs qui participent au travail de présentation de soi ». Page 162.Parce ce qu’elle se renouvelle rapidement et régulièrement, contrairement à la culture consacrée plus statique, les jeunes se tournent vers la culture populaire qui leur permet également de marquer leur différence générationnelle dans un contexte où le conflit parents/enfants est moins prégnant. Ce sont les transformations des relations au sein de la famille qui ont « renversé la hiérarchie culturelle ».
Ce sont les liens faibles qui dictent leurs lois au groupe
Malgré le développement de l’individualisation (toutefois moins présent au sein des milieux défavorisés où s’exerce un contrôle social supérieur des pairs lié à la promiscuité) et l’encouragement à l’expression personnelle (notamment au sein de la famille), la pression du groupe des pairs à l’école est très forte. Ce sont les « liens faibles » (entourage) qui dictent leurs lois au groupe tandis que les « liens forts », sous couvert de l’amitié, autorisent davantage de tolérance.
Le groupe de pairs et les medias sont des « substituts fonctionnels » aux parents qui n’imposent plus autant de contrainte culturelle.
« Existe-t-il un lien entre l’assouplissement de l’autorité adulte et le durcissement des consignes au sein du groupe de pairs ? »C’est l’idée centrale de la théorie proposée par Dominique Pasquier. Les jeunes sont en mal de repères. Comme le dit l’aphorisme d’Aristote « la nature a horreur du vide ». Ce sont les pairs et les medias qui prennent le relais, estompant les distinctions culturelles entre classes sociales et renforçant la ségrégation sexuelle. Légèrement en retrait, les filles sont toutefois moins exposées que les garçons à la pression sociale qui les place en position avantageuse mais fragile.
Analyse critique de l’ouvrage
En s’intéressant au début des années 2000 à la culture des lycéens, Dominique Pasquier investit un terrain encore peu exploré par les sociologues qui sous-estiment alors la diversité de la population adolescente[1] et se focalisent plutôt sur les problématiques de crise et de conflit, traitées par ailleurs par les psychologues. La culture des adultes, elle, fait l’objet depuis les années 70 d’une vaste enquête « Les français et la culture » réalisée tous les dix ans par le ministère de la culture[2].Lier l’étude des cultures lycéennes aux outils d’information et de communication et au phénomène de socialisation, ajoute encore au caractère original et novateur de sa démarche. Dès lors, nous pouvons supposer que les nouveaux outils d’information et de communication et leur usage, avec les multiples questions qu’ils posent et inquiétudes qu’ils suscitent sur le comportement social des enfants et des adolescents, ont permis d’attirer indirectement le regard sur la culture des jeunes, thématique alors négligée. Les résultats de la recherche de Dominique Pasquier, dont un des points à retenir est le nouveau rôle joué par les pairs dans le quotidien des jeunes, illustrent, d’une certaine manière, le phénomène qui est en train de se produire : le réseau relationnel qui revêt une importance alors jusque-là inégalée, gagne ses « lettres de noblesse ». Il n’est qu’à considérer la création et le développement des réseaux sociaux en ligne, personnels et professionnels, qui donnent toute son importance au « portefeuille relationnel », renforçant au passage son caractère socialement distinctif. Alors que Dominique Pasquier réalise sa recherche (débutée en 2001 avec l’enquête, publiée en 2005), les premiers réseaux sociaux à succès voient en effet le jour : Copains d’avant (2001), Myspace (2003), Facebook (2004), viadeo (2004),…
L’ouvrage de Dominique Pasquier est particulièrement intéressant parce qu’il s’attache à étudier les pratiques en donnant largement la parole au public concerné. Il se veut fidèle à leurs propos, ce qui dégage une authenticité que les approches théoriques, présentes et éclairantes, ne viennent pas occulter. En étudiant cet ouvrage en 2011, on ne peut toutefois négliger le fait que le développement des nouvelles technologies a été fulgurant ces dernières années : le tableau des pratiques aujourd’hui n’est peut-être plus tout-à-fait celui des premières années de l’an 2000. Le profil des internautes, par exemple, se rapproche progressivement de celui de la population française de manière générale, avec des distinctions moindres en termes de sexe et de CPS[3].
L’apport principal, et le plus intéressant, de cet ouvrage me semble être la mise en évidence du rôle renforcé des pairs dans les choix culturels et dans la vie des jeunes en général. Je reste plus dubitative sur l’idée que les pairs et les medias deviennent des « substituts fonctionnels » aux parents. L’auteur n’essayerait-elle pas ici de transmettre une idée qui lui est personnelle ? L’objet de son enquête n’est pas d’étudier directement le processus de transmission culturelle entre parents et enfants. Elle affirme que la transmission culturelle entre générations se fait moins automatiquement qu’autrefois en évoquant la question d’une « crise » de la transmission culturelle, à laquelle elle répond positivement dans sa conclusion : « la culture entre pairs peut neutraliser les acquis de la culture que les parents essaient de transmettre ». De nombreuses études depuis, en particulier celles de Sylvie Octobre[4], sociologue au ministère de la culture et de la communication, indiquent que la consommation culturelle est encore fortement tributaire des parents et du milieu social, même si cela a tendance à s’atténuer avec la démocratisation de l’accès à une plus large palette de pratiques. « La famille demeure le premier lieu de sensibilisation culturelle » (S. Octobre 2009). Les parents ont tendance à croire qu’il existe un lien fort entre pratiques culturelles et réussite scolaire. La fracture sociale perdure donc, au-delà d’un « découpage par âge ou par sexe » comme l’écrit Dominique Pasquier. D’ailleurs, si on y regarde de plus près : son enquête montre bien que si les jeunes de milieux sociaux différents utilisent les mêmes modes d’information et de communication, ils n’en font pas le même usage. Ajoutons que la transmission culturelle n’est pas la « reproduction à l’identique de comportements d’une génération à une autre […] mais suppose un processus de réappropriation » (S.Octobre, 2009). Ce qui signifie que la transmission culturelle peut fonctionner même si les objets prennent des formes différentes. La culture est une « matière vivante ». Enfin, il faut prendre en compte les apprentissages informels (P.Erny, 1987) qui agissent au sein de la famille. On peut se demander d’ailleurs, si les jeunes n’adhèrent pas davantage à la culture de leurs parents lorsque celle-ci ne leur est pas imposée avec autorité, et qu’en retour, les parents font preuve de curiosité et de respect pour les goûts et les pratiques de leurs enfants ?
L’ouvrage s’organise en trois parties. Dans la première partie, Dominique Pasquier présente le contexte social de sa recherche comme terrain propice au développement de l’individualisation et de l’autonomisation des pratiques culturelles des jeunes. Elle montre que ces pratiques génèrent différents types de liens sociaux (considération de l’autre, relation amicale, rejet) et participent à imposer, de ce fait, une culture de masse à laquelle les jeunes ne peuvent se soustraire au risque de se voir exclure du groupe majoritaire.
La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à la manière dont se structurent les réseaux sociaux des jeunes à partir de pratiques culturelles et de goûts partagés. Ces derniers sont appréhendés comme attributs de construction et d’affirmation identitaire. L’auteur les passe en revue ainsi que leurs conditions d’affichage (assumés ou cachés) au sein du groupe.
Dans la troisième partie, elle s’intéresse à la façon dont s’organisent les réseaux sociaux juvéniles au regard des modes de communication dont les lycéens disposent. Quels usages font-ils du courrier, de l’e-mail, du SMS… en fonction des situations auxquelles ils sont confrontés et des personnes auxquelles ils s’adressent ?
Problématique
Affranchis de l’autorité des adultes, dotés de nouveaux moyens d’information et de communication qui leur donnent un accès élargi à la culture, les jeunes n’ont jamais été aussi libres et autonomes dans leurs pratiques culturelles. Pourtant, on observe que la contrainte normative, qui s’exerçait auparavant au sein de la famille, s’est déplacée sur le terrain de l’école, via le groupe de pairs, de manière « tyrannique » (pour reprendre l’expression de Hannah Arendt dans son ouvrage La crise de la culture, 1986). Les pairs imposent une culture de masse qui dicte une nouvelle hiérarchie des goûts, exclut la culture classique et rejette la différence. Comment peut-on expliquer ce phénomène ? C’est ce que l’auteur va chercher à comprendre en observant le processus d’acquisition et de diffusion de la culture à travers l’utilisation d’internet et du téléphone portable, devenus les outils emblématiques de cet espace social remodelé.
Hypothèses
Les pratiques culturelles « phares » des jeunes sont celles qui privilégient la communication et le lien social.
Les « cultures juvéniles se nourrissent de dynamiques sociales. Les pratiques ont en point de mire les échanges et les interactions qu’elles permettent d’avoir avec l’entourage » (page 56). Pour Dominique Pasquier, seules les pratiques culturelles permettant les échanges verbaux immédiats, à partir d’activités partagées par tous, au même moment, remportent du succès auprès des jeunes. Dans cette perspective, la lecture classique, par exemple, ne constitue pas un bon support de sociabilité contrairement aux séries télévisées, émissions de télé-réalité…dont on peut parler le lendemain de la diffusion.Les échanges verbaux viennent ici valider le lien social à travers un même vécu, plutôt qu’enrichir la conversation. Une sélection des thématiques jugées dignes d’intérêt est alors réalisée au bénéfice du plus grand nombre, repoussant les goûts hors normes et tout ce qui n’offre pas un accès immédiat (culture humanisme classique par exemple).
La mixité à l’école a renforcé le besoin des garçons d’affirmer leur virilité et ainsi de se distinguer du groupe des filles, devenant un moteur d’exclusion.
Autre facteur d’exclusion, sexuel cette fois-ci : les pratiques culturelles des garçons (jeux vidéo, ordinateur) sont jugées supérieures par le groupe à celles des filles qui valorisent les sentiments, la « culture de la confidence », la culture « commerciale » possibles avec la télévision ou le téléphone. Internet a accentué le phénomène de cette hiérarchisation des goûts, les interfaces techniques relevant davantage de la masculinité, comme les sciences et les mathématiques à l’école. Les garçons se positionnent ainsi à la pointe de la modernité quand les filles continuent à privilégier d’anciens modes de communication.Du fait de la mixité généralisée à l’école, les garçons auraient davantage besoin d’affirmer leurs valeurs de virilité, excluant les filles mais aussi leurs homologues faisant preuve d’une trop grande sensibilité en public. Ce sont dans les milieux défavorisés que ces faits sont le plus distinctement observés tandis que dans les milieux bourgeois, où le rôle de transmission culturelle des parents, quoi qu’amoindri, fonctionne encore, les hommes se distinguent toujours par des manières plus raffinées, proches du mode de fonctionnement féminin, axé sur l’écoute et le dialogue.
Enquête/méthodologie
L’enquête se déroule en 2001-2002 dans 3 lycées généraux et technologiques de Paris et grande banlieue. Le lycée parisien recrute des élèves issus de « milieux extrêmement privilégiés ». Un des lycées de banlieue accueille des jeunes issus de milieux défavorisés et de la classe moyenne, tandis que le troisième accueille des jeunes très diversifiés. Un questionnaire quantitatif court sur les pratiques culturelles et de communication des jeunes est diffusé auprès de 944 élèves répartis également dans les 3 lycées, tous niveaux et filières confondus. 65 entretiens semi-directifs sont réalisés auprès de 20 lycéens de l’établissement parisien et de 45 lycéens des établissements de banlieue.L’objectif de l’enquête est d’observer comment certaines pratiques plutôt que d’autres peuvent participer à créer des liens sociaux et amicaux entre les jeunes ou au contraire provoquer l’exclusion. L’auteur s’intéresse en particulier aux pratiques « ordinaires » du quotidien (partagées par le plus grand nombre) et aux « phénomènes de stylisation » (exprimer sa personnalité à travers ses choix culturels en les affichant).
Résultats
La culture obéit désormais à un processus de transmission horizontale
« La cartographie des cultures communes s’élabore aujourd’hui moins sur la base d’un découpage par l’origine sociale que par l’âge ou le sexe ». Page 162.D’un processus vertical qui partait d’une part, des parents et de l’école, vers la génération suivante, et d’autre part, de l’élite sociale vers les classes défavorisées, la culture obéit désormais à un processus de transmission horizontale entre pairs, via les nouveaux outils d’information et de communication. Le pouvoir a changé de mains. Ce ne sont plus les parents qui imposent leur culture aux enfants et la classe dirigeante qui dicte normes et modèles, comme l’affirmait Bourdieu en son temps, mais la majorité relayée par les medias.
La culture populaire devient un modèle avant-gardiste
« Les jeunes préfèrent se tourner vers des cultures qui mettent en scène un style de vie. Ainsi, la musique rap remporte du succès parce qu’elle fournit une déclinaison d’objets, de styles, de loisirs qui participent au travail de présentation de soi ». Page 162.Parce ce qu’elle se renouvelle rapidement et régulièrement, contrairement à la culture consacrée plus statique, les jeunes se tournent vers la culture populaire qui leur permet également de marquer leur différence générationnelle dans un contexte où le conflit parents/enfants est moins prégnant. Ce sont les transformations des relations au sein de la famille qui ont « renversé la hiérarchie culturelle ».
Ce sont les liens faibles qui dictent leurs lois au groupe
Malgré le développement de l’individualisation (toutefois moins présent au sein des milieux défavorisés où s’exerce un contrôle social supérieur des pairs lié à la promiscuité) et l’encouragement à l’expression personnelle (notamment au sein de la famille), la pression du groupe des pairs à l’école est très forte. Ce sont les « liens faibles » (entourage) qui dictent leurs lois au groupe tandis que les « liens forts », sous couvert de l’amitié, autorisent davantage de tolérance.
Le groupe de pairs et les medias sont des « substituts fonctionnels » aux parents qui n’imposent plus autant de contrainte culturelle.
« Existe-t-il un lien entre l’assouplissement de l’autorité adulte et le durcissement des consignes au sein du groupe de pairs ? »C’est l’idée centrale de la théorie proposée par Dominique Pasquier. Les jeunes sont en mal de repères. Comme le dit l’aphorisme d’Aristote « la nature a horreur du vide ». Ce sont les pairs et les medias qui prennent le relais, estompant les distinctions culturelles entre classes sociales et renforçant la ségrégation sexuelle. Légèrement en retrait, les filles sont toutefois moins exposées que les garçons à la pression sociale qui les place en position avantageuse mais fragile.
Analyse critique de l’ouvrage
En s’intéressant au début des années 2000 à la culture des lycéens, Dominique Pasquier investit un terrain encore peu exploré par les sociologues qui sous-estiment alors la diversité de la population adolescente[1] et se focalisent plutôt sur les problématiques de crise et de conflit, traitées par ailleurs par les psychologues. La culture des adultes, elle, fait l’objet depuis les années 70 d’une vaste enquête « Les français et la culture » réalisée tous les dix ans par le ministère de la culture[2].Lier l’étude des cultures lycéennes aux outils d’information et de communication et au phénomène de socialisation, ajoute encore au caractère original et novateur de sa démarche. Dès lors, nous pouvons supposer que les nouveaux outils d’information et de communication et leur usage, avec les multiples questions qu’ils posent et inquiétudes qu’ils suscitent sur le comportement social des enfants et des adolescents, ont permis d’attirer indirectement le regard sur la culture des jeunes, thématique alors négligée. Les résultats de la recherche de Dominique Pasquier, dont un des points à retenir est le nouveau rôle joué par les pairs dans le quotidien des jeunes, illustrent, d’une certaine manière, le phénomène qui est en train de se produire : le réseau relationnel qui revêt une importance alors jusque-là inégalée, gagne ses « lettres de noblesse ». Il n’est qu’à considérer la création et le développement des réseaux sociaux en ligne, personnels et professionnels, qui donnent toute son importance au « portefeuille relationnel », renforçant au passage son caractère socialement distinctif. Alors que Dominique Pasquier réalise sa recherche (débutée en 2001 avec l’enquête, publiée en 2005), les premiers réseaux sociaux à succès voient en effet le jour : Copains d’avant (2001), Myspace (2003), Facebook (2004), viadeo (2004),…
L’ouvrage de Dominique Pasquier est particulièrement intéressant parce qu’il s’attache à étudier les pratiques en donnant largement la parole au public concerné. Il se veut fidèle à leurs propos, ce qui dégage une authenticité que les approches théoriques, présentes et éclairantes, ne viennent pas occulter. En étudiant cet ouvrage en 2011, on ne peut toutefois négliger le fait que le développement des nouvelles technologies a été fulgurant ces dernières années : le tableau des pratiques aujourd’hui n’est peut-être plus tout-à-fait celui des premières années de l’an 2000. Le profil des internautes, par exemple, se rapproche progressivement de celui de la population française de manière générale, avec des distinctions moindres en termes de sexe et de CPS[3].
L’apport principal, et le plus intéressant, de cet ouvrage me semble être la mise en évidence du rôle renforcé des pairs dans les choix culturels et dans la vie des jeunes en général. Je reste plus dubitative sur l’idée que les pairs et les medias deviennent des « substituts fonctionnels » aux parents. L’auteur n’essayerait-elle pas ici de transmettre une idée qui lui est personnelle ? L’objet de son enquête n’est pas d’étudier directement le processus de transmission culturelle entre parents et enfants. Elle affirme que la transmission culturelle entre générations se fait moins automatiquement qu’autrefois en évoquant la question d’une « crise » de la transmission culturelle, à laquelle elle répond positivement dans sa conclusion : « la culture entre pairs peut neutraliser les acquis de la culture que les parents essaient de transmettre ». De nombreuses études depuis, en particulier celles de Sylvie Octobre[4], sociologue au ministère de la culture et de la communication, indiquent que la consommation culturelle est encore fortement tributaire des parents et du milieu social, même si cela a tendance à s’atténuer avec la démocratisation de l’accès à une plus large palette de pratiques. « La famille demeure le premier lieu de sensibilisation culturelle » (S. Octobre 2009). Les parents ont tendance à croire qu’il existe un lien fort entre pratiques culturelles et réussite scolaire. La fracture sociale perdure donc, au-delà d’un « découpage par âge ou par sexe » comme l’écrit Dominique Pasquier. D’ailleurs, si on y regarde de plus près : son enquête montre bien que si les jeunes de milieux sociaux différents utilisent les mêmes modes d’information et de communication, ils n’en font pas le même usage. Ajoutons que la transmission culturelle n’est pas la « reproduction à l’identique de comportements d’une génération à une autre […] mais suppose un processus de réappropriation » (S.Octobre, 2009). Ce qui signifie que la transmission culturelle peut fonctionner même si les objets prennent des formes différentes. La culture est une « matière vivante ». Enfin, il faut prendre en compte les apprentissages informels (P.Erny, 1987) qui agissent au sein de la famille. On peut se demander d’ailleurs, si les jeunes n’adhèrent pas davantage à la culture de leurs parents lorsque celle-ci ne leur est pas imposée avec autorité, et qu’en retour, les parents font preuve de curiosité et de respect pour les goûts et les pratiques de leurs enfants ?
[1] Introduction de Pierre Bruno à propos de son ouvrage Existe-t-il une culture adolescente? In Press Editions, Paris, 2000 sur son blog http://b4p5.free.fr/index.php?option=content&task=view&id=20
[2] La dernière est parue en 2008 était la cinquième édition
[3] Observatoire des usages internet, Mediamétrie, 2009
[4] Sylvie Octobre, Tels parents, tels enfants ? Une approche de la transmission culturelle en 2008, Pratiques culturelles chez les jeunes et institutions de transmission : un choc de cultures ? en 2009, La diversification des formes de la transmission culturelle : quelques éléments de réflexion à partir d’une enquête longitudinale sur les pratiques culturelles des adolescents en 2011
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