Première partie : de la société traditionnelle à l’Etat-Nation
Dans son cours de sociologie générale, Didier Lapeyronnie (1) stipule que la sociologie est une science « accumulative », c’est-à-dire que « les théories et les débats s’empilent […] comme en témoigne la présence continue des pères fondateurs ». Chaque période est marquée par l’apparition d’un débat avec la période précédente et l’ouverture d’une nouvelle discussion. « Nous nous intéressons moins aux constructions théoriques formelles et aux modélisations qu’à la logique des élaborations qui permettent de construire des débats ».
Parmi les grands débats de la sociologie, celui de la fondation de la société (ou des sociétés) et de la pérennisation du lien social. Deux grandes réponses sont tout d’abord apportées (au XIXe siècle) à travers les approches respectives des sociologues américains et européens.
Pour les premiers, la société se fonde sur une culture commune, une culture partagée. Une réponse qui s’inscrit dans la logique d’une société composée d’individus venus d’horizons très divers.
Pour les seconds, la société serait une « réalité fondée sur la maîtrise de la nature et l’utilisation des ressources générées par le travail pour fabriquer l’histoire » ; cette version européenne est celle d’une société entrée violemment dans la modernité qui a vécu comme un arrachement la rupture avec le système culturel et politique traditionnel.
La grande crainte des hommes est de voir, avec la modernité, la société et le lien social s’étioler jusqu’à ce que Durkheim (1858-1917) nomme, dans sa forme la plus extrême, l’anomie (c’est-à-dire la dissolution du lien social, la perte des normes et des valeurs, l’avènement d’un individualisme total qui mène aux conflits et aux guerres). En effet, dans la société traditionnelle, les individus évoluent au sein de groupes d’appartenance hiérarchisés et intangibles où la stabilité et la solidarité sont de mise (Tocqueville 1805-1859). La société moderne, elle, privilégie le rationalisme en opposition à un ordre divin ou naturel externe, se complexifie dans son organisation, l’individu est libre et capable de mobilité. Ses droits l’importent sur ceux de la collectivité. L’individualisme apparaît alors, conséquent de la dissolution progressive des liens de solidarité, et avec lui le conflit (en opposition à l’ordre), le désordre social. Dès lors, les hommes, conscients que les changements incessants depuis la révolution française, menacent la stabilité du pays, cherchent à ordonner la vie sociale. Et c’est la « nation » qui « offre la perspective de l’association d’une unité politique, d’une culture commune et d’une économie intégrée . Telle sera la solution ». La construction de la nation passe notamment par l’élaboration d’une histoire nationale qui a lieu à la fin du XIXe siècle, racontant la « construction longue, difficile et souvent héroïque » de l’unité.
En Allemagne, Max Weber (1864-1920) considère que l’action politique doit viser à « tempérer les effets de l’économie moderne » pour aller dans le sens d’une unification sociale de la nation. Il affirme la nécessité d’une « légitimité charismatique » (chef/leader) aux côtés d’une « légitimité légale et rationnelle » susceptible de tomber dans la bureaucratie.
La société nationale a donc remplacé les communautés, la solidarité mécanique (liens sociaux entre individus ayant des valeurs communes) a été remplacée par une solidarité organique (les individus, comme des organes à l’intérieur du corps humain, dépendent les uns des autres).
(1) cours de sociologie générale
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire