mercredi 6 juillet 2011

Sur quoi se fonde la société ? Comment le lien social perdure-t-il ? [2/3]

Deuxième partie : de la philosophie de l’intérêt aux prémices du fonctionnalisme


Les sociétés ne sont pas seulement des Etats-Nations, elles rassemblent des individus. La notion d’individu libre et autonome apparaît avec l’avènement de la société moderne qui succède au monde des communautés. Le rationalisme prend le pas sur le sacré. L’individu devient central et l’emporte sur le groupe. Dès lors, qu’est-ce qui permet à la société moderne de perdurer ? De concilier liberté individuelle et organisation de la vie sociale ?

Les réponses apportées depuis le XIXe siècle relèvent de la « philosophie de l’intérêt ». Comme pour Louis Dumont (1911-1998) pour qui les sociétés individualistes et égalitaires « mettent en leur cœur les relations instrumentales, les relations aux choses, dominées par une idéologie économique ». Ou pour des sociologues tels que Ferdinand Tönnies (1855-1936), qui considère que la société moderne, qui regroupe des individus autonomes, tient par la « convention », la vie sociale apparaissant comme le produit d’un contrat. La « stabilité sociale est dans tous les cas fondée sur la liberté de l’individu de poursuivre la recherche de son propre bonheur ». Il contribue ainsi au bonheur collectif.

Une nouvelle approche né avec la « tradition sociologique » qui s’oppose à cette philosophie de l’intérêt qui pour les sociologues sape les fondements de la vie collective, tandis que la communauté ne peut plus être une réponse à la préservation conjointe de l’ordre social et de la liberté individuelle. Cette nouvelle réponse, c’est l’institution. Institution religieuse pour Tocqueville (1805-1859) qui a étudié la société américaine au sein de laquelle cohabitent harmonieusement esprit religieux et esprit de liberté. « L’individualisme y est tempéré par la religion qui cimente les communautés et alimente la vertu, fondement de l’esprit civique ». Pour Tocqueville « la société désigne le système d’interrelations qui lie l’ensemble des individus qui partagent une culture commune. Aucune culture ne pourrait exister sans une société. Mais également, aucune société ne pourrait exister sans une culture ».

Durkheim (1858-1917) s’oppose à la vision de Tocqueville car il considère que le religieux est le point d’ancrage des anciennes communautés traditionnelles. Pour lui, c’est l’école, l’éducation qui joue désormais un rôle d’intégrateur social. A la religion, se substitue une morale laïque et rationnelle.

En fait, Durkheim s’inscrit dans la tradition darwinienne de son époque. La société moderne est le « résultat d’un processus général de différenciation ». « Les fonctions sociales sont différenciées : elles sont séparées les unes des autres et sont remplies par des individus, des genres, des groupes et des institutions différentes ». C’est une société complexe marquée par la différenciation fonctionnelle et structurelle. Dans ce cadre, le religieux disparaît au profil du rationnel. Nous attendons par exemple du médecin qu’il nous prescrive un traitement relevant de la science et non pas d’une puissance divine.

La thèse de Durkheim expliquant la capacité de l’homme moderne libre à fonder un ordre social stable est « la volonté » comme capacité à agir conformément à la raison. Une raison qui se développe à travers un processus d’intériorisation des morales civiques et professionnelles transmises par le biais des institutions (notamment l’école) et des corps intermédiaires. Et qui font de l’homme, avant tout, un être social.

Dans cette logique, Durkheim considère que si l’intégration faiblit « l’infini des désirs sans bornes progresse et génère l’anomie », la régression de l’espèce humaine à un stade inférieur. C’est pourquoi il est essentiel que « les hommes dominent les femmes, que le monde du public et de l’action qui libère le monde du privé et des sentiments qui asservit. Lapeyronnie remarque que ces idées n’ont rien d’anecdotique et qu’elles sont à la source de nos représentations modernes des genres. C’est là que l’on comprend que la morale dite laïque découle bien de la morale religieuse, reprenant ici le flambeau de la domination masculine. Les procédés utilisés sont toujours les mêmes : recours aux mythes, justification en apparence raisonnée. Rappelons-nous les Baruya de Maurice Godelier qui eux aussi craignaient le désordre et privaient à cet effet les femmes de leur pouvoir d'action.

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