mardi 11 octobre 2011

Luc Boltanski, Les cadres. Introduction

Quel est le point commun entre le Directeur commercial d’une grande entreprise, le responsable du service logement d’une collectivité territoriale, un officier de la marine marchande, un professeur de lycée, un artiste plasticien… ? Ce sont des cadres.

Dans son ouvrage, « Les cadres, la formation d'un groupe social » (1982), Luc Boltanski cherche à comprendre comment s’est constitué ce groupe hétérogène et quel terreau commun symbolique le cimente. Pour cela, il commence par déconstruire la réalité en montrant l’hétérogénéité du groupe. Il plonge dans l’histoire de sa création et porte une attention particulière aux processus d’inclusion et d’exclusion qui ont conduit à sa constitution. Enfin, il reconstruit la dynamique symbolique d’unification qui lui a permis d'émerger et se maintenir.
Dans son introduction, Luc Boltanski donne la parole à un cadre d’entreprise qui a bien « bourlingué ». Il raconte les aléas de sa carrière, lui l’autodidacte qui se confronte régulièrement, dans son parcours, aux « vrais cadres » issus des grandes écoles d’ingénieurs ou de commerce. Il partage avec le lecteur ce souci de la dialectique du titre, les petites manipulations dont il a été victime dans les entreprises de petits patrons arrivistes aux allures de « joueur de golf », l’angoisse de la quarantaine lorsqu'on occupe une fonction où la représentation joue son rôle, la banalisation de cette même fonction qui s’installe avec les années. Trop de cadres, oui. Avec les trente glorieuses, la situation économique autorise la création de nouveaux postes qui viennent gonfler les rangs. Les entreprises, par « respect » pour leurs clients, préfèrent envoyer des cadres en rendez-vous. Et la fonction se féminise. (Aujourd’hui, un poste de cadre sur trois est occupé par une femme). Notre cadre de fin de carrière donne à voir les différences entre les petites entreprises familiales qui opèrent dans un cadre national, « petits bourgeois » en déficit de capital culturel, et les grandes entreprises qui offrent les meilleures opportunités de carrière, les postes rêvés de cadres en complet cravatés – chemise blanche, diplômés de grandes écoles. Ils vont de déjeuners en séminaires et en voyages, conduisent des voitures de fonction, s’autorisent des notes de frais, fréquentent les clubs de sport. Ils ont la sécurité d'une entreprise fiable et confortable, le respect de leur Direction. Ils font preuve d’esprit d’initiative, ont le sens de la hiérarchie et de l’adhésion. Ambiance « paternaliste sans père », égalitarisme, multi-nationalisme et management à l’américaine sont au rendez-vous. L’image de la réussite triomphante dans sa forme la plus stéréotypée ne choque pas dans les années 80.

En remontant aux origines de la naissance du groupe de cadres, Boltanski nous ouvre l'accès à légende, au mythe du « jeune cadre dynamique ».

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